La Belgique voit passer des millions de transferts financiers entre régions… Comme dans nos pays voisins! Juste une question de solidarité et de partage. Et sans distinction de langue!
« Les transferts sociaux coûtent près de 1 200 euros par an à chaque Flamand ». Le titre de cet article paru dans le journal économique De Tijd a fait couler beaucoup d’encre. D’autres médias se sont empressés de relayer l’information, les médias sociaux se sont enflammés. L’Echo, le pendant francophone, abordait le sujet non pas en Une, mais en page 3. Avec un article nettement plus court intitulé « Les transferts Nord-Sud ont atteint 8 milliards en 2022 ». En d’autres mots : « Les transferts Nord-Sud sont plafonné à 8 milliards en 2022 ». Voilà qui illustre parfaitement la manière subjective de présenter la même information.
De part et d’autre de la frontière linguistique
L’analyste politique Alain Gerlache a également relevé ce point, quelques jours plus tard, lorsque l’agitation était quelque peu retombée, dans De Morgen : « Ceci est une illustration parfaite des perceptions différentes des transferts de part et d’autre de la frontière linguistique. D’un côté on y voit un montant que chaque Flamand paie, de l’autre simplement une sorte de mécanisme de correction ».
Les lecteurs de ces quotidiens économiques – managers, entrepreneurs, investisseurs – réfléchissent-ils sur base de « faits et de chiffres » ? Ou donnent-ils à ces flux financiers une dimension linguistique ?
« Dans les pays voisins, les transferts financiers entre régions ne sont jamais contestés. Chez nous, la situation est différente », explique Alain Gerlache. En effet, « tout le monde n’utilise pas le même cadre de référence ». « Dans des pays comme la France ou l’Allemagne, ces transferts ne sont jamais contestés parce que l’identité nationale est forte. Chez nous, il y a deux entités linguistiques avec un paysage politique fort différent : le Nord, de plus en plus flamand, et le Sud, où l’on se sent toujours Belge. »
Identité nationale forte ou pas, analyser les flux financiers qui assurent notre protection sociale d’un point de vue linguistique n’est pas pertinent. Par conséquent, on ne peut pas non plus envisager cette question partant d’une optique communautaire. Les personnes qui le font, ne font que de la récupération politique. En opposant les uns aux autres. En faisant exactement le contraire que ce que véhicule et reflète la sécurité sociale comme valeur, à savoir la solidarité.
Une question de protection
Cette solidarité, c’est l’assise même de notre sécurité sociale. Les personnes en bonne santé contribuent pour celles qui sont malades ; les actifs pour ceux et celles qui perdent leur emploi. Ces mêmes actifs contribuent au financement des pensions pour celles et ceux qui ont travaillé toute leur vie. Chacun contribue, et peut compter sur un « retour », en cas de besoin. Mais pas seulement! Vous partez en vacances ? Elle vous permet d’en profiter pleinement grâce au pécule de vacances. Vous avez des enfants ? Elle vous donne un petit coup de pouce sur le plan financier.
Tout cela, n’a aucun lien avec la langue parlée. Et heureusement ! Plus il y a de personnes qui contribuent au pot commun de la protection sociale, plus la sécurité qu’elle pourra offrir sera importante. Un citoyen wallon contribue à la sécurité sociale d’un citoyen malade, qu’il soit flamand, wallon ou bruxellois.
La crise sanitaire, un excellent exemple
Le système fonctionne-t-il ? Oui ! Regardons la plus grande crise économique, sociale et sanitaire que nous ayons connue ces dernières années et qui nous a tous touchés, toutes frontières linguistiques confondues : la pandémie du coronavirus.
Notre sécurité sociale a servi de bouée de secours dans la tempête. Olivier Pintelon, conseiller au service d’études de la FGTB, souligne dans le magazine SamPol que notre système nous a non seulement protégés, mais a aussi permis de maintenir notre économie debout. « L’économie a continué à tourner. Tout simplement parce que les règles du jeu ont été appliquées. Pensons aux allocations pour les citoyens qui sont tombés au chômage temporaire. Ou au droit passerelle pour les indépendants (une allocation temporaire en cas de fermeture de leur business). Les économistes voient la sécurité sociale comme un ‘stabilisateur économique’. Un amortisseur de chocs particulièrement efficace en cas de conjoncture économique difficile. C’est évident : les allocations sociales sont destinées par définition aux personnes qui subissent des pertes de revenus. »
N’oublions pas non plus que les entreprises aussi ont pu compter sur les transferts de la sécurité sociale. Comme le souligne Olivier Pintelon : « Dans les secteurs fermés comme l’Horeca, la culture ou le sport, les entreprises ont automatiquement obtenu un report de paiement des allocations sociales. A titre d’exemple, le secteur du tourisme a été dispensé de cotisations sociales durant un an.
A double sens
Selon l’expert Jef Maes, auteur de l’ouvrage « Votre sécurité sociale est en danger » publié en 2010 (!), les transferts entre les personnes hautement et peu qualifiées sont beaucoup plus élevés que ceux entre les régions. Et les transferts entre les plus riches et les plus pauvres sont encore plus élevés. C’est logique. Les hauts revenus payent un peu plus d’impôts que les bas revenus. Nous faisons cotiser les travailleurs et travailleuses, mais pas les pensionnés. Cela fait-il de ces pensionnés des personnes que nous devons qualifier de « bénéficiaires » ? Sachant que la Flandre vieillit plus que les autres régions et que le nombre de pensionnés y augmente fortement, deviendra-t-elle un bénéficiaire plus important d’année en année ?
Les dépenses de pension et de santé atteignent des records en Flandre Jef Maes a analysé un poste de dépenses important spécifique de notre sécurité sociale : les soins de santé. Qu’en ressort-il ? Si l’on tient compte de l’âge, du sexe, du nombre d’invalides, etc., les dépenses moyennes entre les régions sont extrêmement similaires. Mais certains arrondissements engloutissent une grande partie des dépenses de santé. Comment la surconsommation peut-elle être aussi localisée ? Selon Jef Maes : « A Eeklo et à Huy, on dépense plus que la moyenne, mais cela s’explique par l’importante présence d’hôpitaux psychiatriques et de maisons de repos et de soins. De même, en Flandre occidentale, les dépenses sont plus importantes en raison de la présence de nombreuses personnes âgées à la côte. Il l’a répété récemment sur Radio 1 : « La région qui reçoit le plus de la sécurité sociale est la région côtière, parce que de nombreux pensionnés y vivent. Personne n’a jamais suggéré dans les médias que le reste du pays paie pour les résidents côtiers en mauvaise santé et que nous devrions nous détacher de cette région ». |
« Personne n’a jamais suggéré dans les médias que le reste du pays paie pour les résidents côtiers en mauvaise santé et que nous devrions nous détacher de cette région. »
— Jeff Maes, Expert
Jef Maes souligne également qu’il existe des flux de solidarité dans d’autres pays. « Toutes les études s’accordent à dire que les transferts sont principalement liés à l’économie et au niveau d’emploi. Le niveau des transferts n’est pas plus élevé chez nous. Dans beaucoup d’autres pays européens, la solidarité au sein des régions est plus grande ». C’est le cas, par exemple, entre l’Allemagne de l’Ouest et l’Allemagne de l’Est, entre l’Ile-de-France et le Nord-Pas-de-Calais, entre le sud-est de l’Angleterre et le Pays de Galles et le nord-ouest de l’Angleterre ».
Pas de chèque
André Decoster, professeur de finances publiques à la KU Leuven, a été très clair en 2017 lorsque Geert Bourgeois (N-VA), a détourné son étude sur les fux financiers en Belgique pour laisser à penser que la Flandre émettait un chèque au profit de la Wallonie : « Le flux financier que nous avons calculé n’est pas une enveloppe financière. Il ne s’agit pas non plus d’un montant inscrit dans un quelconque budget. Le flux financier calculé entre la Flandre, Wallonie et Bruxelles est une manière spécifique, résultant d’un choix politique, de considérer les différences entre les personnes ».
« En raison du choix de notre système fiscal et de sécurité sociale, il existe des millions de petits flux financiers entre tous les citoyens de ce pays. De riches Flamands vers de pauvres Bruxellois, mais aussi de riches Wallons vers de pauvres Flamands, de riches Flamands de Flandre occidentale vers de pauvres flamands de Flandre occidentale, etc.
« Pas à sens unique »
Revenons aux « actualités ». Nous avons également lu dans De Tijd, sous un titre à connotation communautaire, qu’il n’y avait en fin de compte « pas de circulation à sens unique » dans la sécurité sociale. Eric Dor, auteur de l’étude sur laquelle s’appuie le journal économique : « Il est évident que chaque Flamand ne paie pas réellement pour chaque habitant des autres régions », précise-t-il.
Alors, qu’en-est il ? L’étude de Dor indique surtout qu’au niveau des provinces et des arrondissements, les écarts sont importants. En bref, le Brabant contribue, tandis que le reste de la Flandre reçoit. Par habitant, le Brabant flamand contribue à hauteur de 4.757 € et le Brabant wallon à hauteur de 3.979 €. Viennent ensuite Anvers (1.293 €) et la Flandre orientale (991 €). Les plus grands bénéficiaires ? Le Hainaut et Liège, le Limbourg et la Flandre occidentale. Conclusion dans De Tijd : « Bien avant la ligne Nord-Sud, les transferts vont du centre économique – de Louvain-la-Neuve à Gand et Anvers en passant par Bruxelles et Louvain – vers les coins les plus reculés du pays ».
Rien de neuf. Ce constat a déjà été fait il y a sept ans par André Decoster et Willem Sas. Ce dernier l’a encore répété dans De Standaard : « Cette situation se retrouve un peu partout en Europe. Les zones où le charbon était dans le sol sont aujourd’hui des zones bénéficiaires. Partout en Europe, cette reconversion (reconversion économique) est difficile ».
Conclusion : nous contribuons tous à un système qui met en place des transferts sociaux entre les travailleurs, les personnes en bonne santé, les malades, les demandeurs d’emploi, les pensionnés… Et entre les régions plus ou moins prospères, avec plus ou moins de personnes âgées… C’est exactement à cela que sert notre sécurité sociale : partager et redistribuer, pour le meilleur et pour le pire ! |