Rencontre avec Ramy Shaath: activisme, syndicalisme et droits humains en Égypte

Rencontre avec Ramy Shaath: activisme, syndicalisme et droits humains en Égypte

En parallèle du sommet sur le climat COP 27 qui s’est tenu en Égypte, Syndicats Magazine s’est entretenu avec le militant égypto-palestinien Ramy Shaath sur la situation des droits humains, et le rôle des syndicats, en Égypte. Ancien conseiller politique de Yasser Arrafat, il a été incarcéré dans une prison égyptienne pendant deux ans et demi. Il a été libéré au début de cette année sous la pression d’une importante campagne internationale. Ramy Shaath vit aujourd’hui en France, mais les menaces restent constantes.

Amnesty International, qui a largement mené campagne en faveur de la libération de Ramy Shaath, donne le contexte : « Ramy Shaath est un militant politique, qui a contribué à la fondation de divers mouvements politiques laïques en Égypte. Harcelé depuis de nombreuses années par les autorités égyptiennes, le militant a été arrêté à la suite d’une violente prise d’assaut de son domicile par des policiers lourdement armés (…). La libération de Ramy Shaath est une victoire immense. Mais elle ne doit pas nous faire oublier qu’en Égypte, des dizaines de milliers de personnes sont encore emprisonnées injustement : ils et elles sont journalistes, avocat·e·s, militant·e·s, bloggeur·euse·s, universitaires, défenseur·e·s des droits humains… Depuis l’arrivée au pouvoir d’Al Sissi, les Égyptiens font face à une répression sans précédent. »

Rencontre.

Ramy Shaath, pouvez-vous nous donner un aperçu de la situation vécue par les groupes militants en Égypte?

Ramy Shaath: « La plus grosse partie de notre travail en tant que militants en Égypte est passée de la lutte pour la démocratie et les droits humains à… la lutte pour la libération des autres prisonniers, qui sont des dizaines de milliers aujourd’hui. Les menaces et les intimidations se poursuivent sans relâche. Même la nuit, on reçoit des appels téléphoniques. C’est une peur et un stress permanents. »

J’ai passé deux ans et demi en prison parmi toutes sortes de militants, de journalistes, d’avocats, de politiciens, ainsi que des milliers de citoyens ordinaires

Ramy Shaath

« En 2019, des dizaines de soldats m’ont attaqué, avec des voitures blindées et des mitrailleuses. On m’a emmené, menotté, les yeux bandés. Ma femme a été expulsée illégalement. J’ai passé deux ans et demi en prison parmi toutes sortes de militants, de journalistes, d’avocats, de politiciens, ainsi que des milliers de citoyens ordinaires. Au moins 10 % des personnes qui étaient en prison avec moi étaient des amis, des collègues ou des parents d’activistes. Ils n’avaient eux-mêmes rien fait ou dit. »

Des menaces en permanence

« Depuis que je suis de retour à Paris, je reçois chaque mois des menaces de mort visant ma fille et ma sœur en Égypte. Lorsque ma fille a voulu me rendre visite, on l’a retenue à l’aéroport pendant 17 heures, sans raison. Le but est de m’envoyer un message… »

Et les syndicats?

« Entre 2011 et 2013, des centaines de syndicats indépendants se sont formés. Quand al-Sissi est arrivé au pouvoir en 2013, il a immédiatement commencé à les dissoudre et à arrêter leurs membres ou à confisquer leurs ressources. De nombreux syndicalistes ont été arrêtés. Haitham Mohamedeem, un avocat travaillant autour des droits du travail, vient seulement d’être libéré après cinq ans de prison. »

« Comme tout l’ ‘espace public’, qui est occupé depuis 2013, le gouvernement égyptien a mis la main sur les syndicats. Dans la plupart des cas, le conseil élu par le peuple lors de la révolution de 2011 a été dissous. Certains syndicats n’ont pas eu de direction pendant des années, jusqu’à ce que le gouvernement désigne une administration par le biais d’élections truquées. Voire par des nominations directes en prévision d’une élection… qui n’a jamais eu lieu. »

« Le gouvernement veut s’assurer qu’il traite avec chacun individuellement, il ne veut aucune forme de représentation collective de la société civile ».

Reste-t-il une action syndicale significative en Egypte en ce moment?

« Il y en a toujours eu une ! La révolution de 2011 a été portée par des militants, des partis et des groupes politiques, mais surtout par une énorme présence syndicale. Comme dit précédemment, le gouvernement a tenté de supprimer les syndicats en les dissolvant, ou en présentant leurs revendications comme sectaires. Mais ils joueront toujours un rôle de premier plan dans la société civile en Égypte, que ce soit en tant que syndicat ou d’une autre manière, collective et invisible. »

Est-ce que les gens ont peur de rejoindre un syndicat?

« Les gens ont peur de s’engager dans quoi que ce soit. Ils se sont rendus compte au fil des ans que le gouvernement n’autorise pas les groupes – qu’il s’agisse de partis politiques, de clubs de jeunes ou même de clubs sportifs – et certainement pas les syndicats. Le gouvernement essaie de s’assurer qu’il traite avec chacun individuellement. Aucune représentation publique réelle de la société civile n’est autorisée. »

Qu’est-ce qu’il faudrait pour que les choses changent?

« Je suis convaincu à 100% que le changement arrive bientôt, en raison du désastre économique que ce régime a créé. Aujourd’hui, 64% de notre économie est entièrement entre les mains de l’armée, et le pays est en faillite. Le président Abdel Fattah al-Sissi bénéficie du soutien des militaires, des forces de sécurité et de certains riches hommes d’affaires. Car il peut les ‘alimenter’ financièrement et les protéger des poursuites pour leurs crimes, qu’il s’agisse de corruption ou de torture. Sissi est déjà en train de perdre des alliés, et je pense que nous sommes confrontés à une année très turbulente, au cours de laquelle nous aurons des opportunités pour changer la situation. »

Que peuvent faire les syndicats européens ou belges pour soutenir votre combat pour la liberté ?

« Tout d’abord, ils faut maintenir le soutien aux militants syndicaux emprisonnés. Quiconque collabore étroitement aujourd’hui avec les syndicats égyptiens officiels travaille avec le gouvernement. Les nombreux syndicalistes qui ont été arrêtés ont besoin du soutien des syndicats belges. Publiquement, financièrement, et en faisant pression pour les faire libérer. À l’approche de la COP27 à Sharm El Sheikh, nous avons lancé une pétition en ligne pour demander plus de libertés civiles et la libération de toute personne arrêtée arbitrairement en Égypte. Il faut la signer. »

Une question plus personnelle… Pouvez-vous désormais profiter de votre liberté retrouvée?

« C’est difficile. Quand je m’endors le soir, je pense aux milliers d’amis que je me suis faits en prison et qui croupissent encore dans cet enfer. Chaque nuit, à 9 heures, les séances de torture commencent dans les prisons. Tous les soirs à 9 heures, un frisson me parcourt l’échine. Avec qui vont-ils jouer ce soir ? Je voudrais me reposer, prendre soin de ma femme qui s’est battue pour moi pendant deux ans et demi. Prendre soin de ma fille qui vit sous une menace constante au Caire à cause de moi. Mais je ne peux pas. Tout cela doit s’arrêter, d’une manière ou d’une autre. »

Pieter Staes
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