Combien coûte vraiment l’alimentation? « Trop ». La hausse des prix de ces derniers mois a eu des répercussions indéniables sur le ticket de caisse. L’inflation des produits alimentaires tournait autour des 9% en octobre dernier, de 11,5% en septembre. Mais au-delà de cette augmentation évidente et visible au niveau du portefeuille, quels sont les coûts cachés de l’alimentation ? Les coûts sur l’environnement, la nature, les travailleurs et travailleuses à travers le monde ? Le point avec l’ONG Humundi.
« Ces coûts cachés, ce sont les impacts négatifs de notre modèle de production industriel et mondialisé sur notre santé, sur l’environnement, sur les personnes qui cultivent notre nourriture et sur les animaux. Un système trompeur, dirigé par la quête du profit maximal et la poursuite de gains à court terme, qui fait peser une lourde addition sur la société dans son ensemble. » C’est ainsi que Humundi (anciennement SOS Faim) introduit sa dernière campagne appelée « Le vrai prix de notre alimentation ».
« Valable jusqu’à épuisement des ressources naturelles… » : découvrez ci-dessus le spot radio diffusé par Humundi.
Drames sociaux et sanitaires
Un « vrai prix » qui se calcule en divers fléaux, drames sociaux et environnementaux : déforestation massive, travail des enfants, exploitation d’ouvriers agricoles partout dans le monde, salaires de misère, disparition de petites fermes en Europe ou ailleurs… Mais aussi : maladies, cancers, souffrance humaine et animale… Tout ceci a bien évidemment des coûts financiers importants – notamment en soins de santé – et surtout humains, avec de nombreux décès précoces tout au long de la chaîne, qu’ils soient liés aux conditions de travail ou à la malbouffe.
« A titre d’exemple, la consommation de produits industriels, ultra-transformés, excessivement riches en matières grasses, en sel, en sucre, ainsi que la surconsommation de viande, contribuent de manière significative aux maladies cardiovasculaires, au diabète, à l’obésité, aux cancers, et à de nombreux problèmes de santé », indique Humundi. « Ce sont les malades et les contribuables qui payent cette addition, estimée, uniquement pour les soins de santé, à 1000 millards de dollars. » Un chiffre qui provient d’une étude menée par les Nations-Unies en 2021. Les pesticides utilisés dans la production industrielle sont, par ailleurs, responsables de 11 000 décès, chaque année.
Qui paie la facture ?
Une fois encore, la réponse peut être résumée en quelques mots : les plus faibles paient le prix le plus fort. « Les multinationales n’assument toujours pas la charge financière des véritables coûts de leur modèle économique et les reportent sur les consommateurs, les citoyens, les producteurs et les générations futures », poursuit l’ONG Humundi. Par multinationales, on parle ici d’une poignée d’entreprises, qui dominent le marché, et de loin. Un chiffre pour l’exemple : 4 compagnies contrôlent 70 à 90 % du commerce de céréales. Deux tiers du marché mondial des semences, engrais et pesticides sont également dominés par 4 multinationales. C’est l’ensemble du marché alimentaire qui est partagé entre quelques grosses fortunes. En parallèle, « la majorité des personnes qui souffrent de la faim dans le monde sont des agriculteurs, éleveurs, pêcheurs et leurs familles, exploités ou marginalisés par le système industriel. »
Terre qui souffre
La planète, aussi, paie un lourd tribut. Prenons l’exemple du marché mondial du jus d’orange, qui est principalement concentré sur de grandes exploitations au Brésil. La monoculture de l’orange génère une déforestation intensive et une perte de biodiversité. Par ailleurs, entre usage de pesticides dangereux, exploitation de travailleurs et pression sur les petits producteurs, les droits humains sont fortement impactés.
L’élevage intensif de poulets contribue à une déforestation incessante en Amazonie, en vue de cultiver le soja destiné à nourrir ces animaux. À cela s’ajoute le risque de zoonoses liés à la trop grande concentration et promiscuité de ces animaux en « fermes-usines ».
Un autre cas ? La production à grande échelle de café contribue par ailleurs à la déforestation de 500 000 ha chaque année. Le marché du café est par ailleurs entaché par des faits de mise au travail des enfants, et de conditions de travail inhumaines pour l’ensemble des caféiculteurs.
Les exemples sont légion, et bien cachés derrière les beaux emballages de nos produits du quotidien.
Responsabiliser, changer
La facture de ces coûts cachés ne devrait retomber ni sur les travailleurs et travailleuses, ni sur le monde paysan, ni sur les consommateurs. Encore moins sur notre planète.
Rappelons que les bénéfices des grandes entreprises agroalimentaires battent des records. « Le Fonds Monétaire International lui-même a récemment souligné que les profits des grandes entreprises représentent désormais près de la moitié de l’inflation en Europe », indique Humundi. Entre coûts cachés et surprofits, les multinationales de l’industrie alimentaire s’enrichissent au détriment de la société, de la santé publique et de l’environnement.
Alors que faire ? Responsabiliser ceux que le système engraisse. « Il faut mettre en place des politiques qui visent à réduire de manière significative les coûts cachés, tout en responsabilisant financièrement les acteurs qui en tirent profit », propose Humundi.
Et changer nos habitudes, autant que possible. Tout en maintenant la pression au niveau politique, pour que chacun ait accès à une alimentation saine et suffisante. Promouvoir et soutenir des pratiques agricoles humaines, propres. L’agroécologie vise à créer des systèmes alimentaires écologiquement responsables, justes et résilients. Elle met l’accent sur la justice sociale, la participation des communautés et garantit l’accès à une nourriture saine pour tous. Au niveau politique, veiller à ce que tout soit mis en œuvre pour réussir la « transition alimentaire ».
Enfin, il est essentiel que le consommateur soit au courant de ce qui se trouve dans son assiette. Ce, « afin de mieux comprendre les relations entre notre alimentation, le prix d’achat, la rémunération des producteurs et les coûts cachés ».
Profession : cueilleuse de thé au Rwanda
Le paysage du pays des mille collines est parsemé de théiers et, entre les allées, des femmes en cueillent rapidement les feuilles qu’elles jettent dans leur panier. Rapidement, car elles sont payées au kilo de feuilles cueillies. Certaines portent leur bébé sur le dos. Leur récolte sera moindre, parce que leur panier entrave leurs mouvements. Ces cueilleuses travaillent sans relâche, les pieds dans l’eau, tout en chassant les serpents qui vivent entre les théiers.
Depuis que le syndicat est passé par là, elles chaussent des bottes, portent des tabliers pour les protéger de l’humidité et ont pu déposer leurs bébés et jeunes enfants dans des « crèches syndicales ». L’IFSI, l’institut de coopération syndicale internationale de la FGTB, développe au Rwanda un partenariat avec la CESTRAR (Centrale des Syndicats des travailleurs du Rwanda) et, entre autres, le syndicat des plantations de thé.
Le combat syndical est quotidien : négocier de meilleures conditions de travail, une protection contre les produits toxiques et les accidents de travail, et, tâche ardue, obtenir des contrats de travail pour les cueilleuses journalières. La création de crèches syndicales permet aux cueilleuses de mieux gagner leur vie, et d’assurer ainsi une meilleure alimentation à leur famille souvent monoparentale. Enfin, les enfants sont également protégés des dangers des plantations et jouent et apprennent avec d’autres, encadrés souvent par des institutrices maternelles.