« Quand on ne vous écoute pas, il ne vous reste qu’à élever la voix »

« Quand on ne vous écoute pas, il ne vous reste qu’à élever la voix »

“Mon sort est aujourd’hui entre les mains d’un juge”, nous disait Kelly voici quelques jours. Depuis, à la mi-novembre, elle a été condamnée. Et ce, pour une action non-violente qui n’a occasionné aucun dommage.

Kelly, 29 ans, est l’une des activistes de Greenpeace condamnés pour une action pacifique à Zeebrugge. Un exemple parlant de la criminalisation de plus en plus fréquente de l’action sociale dans notre pays. C’est pourquoi Greenpeace s’est joint à la plateforme “Manifestant.e, pas criminel.le”

Condamnation

Kelly et 13 autres militants de Greenpeace ont été condamnés le 15 novembre pour être entrés dans les infrastructures portuaires en avril dernier. Le parquet de Bruges avait requis six mois de prison. Il n’est pas allé aussi loin. Pas d’emprisonnement ni d’amende, mais une suspension du prononcé pour cinq ans. Cela signifie que Kelly et les autres risquent d’être sanctionnés s’ils sont à nouveau arrêtés dans le cadre d’une action non violente au cours d’une période de cinq ans.

“Je suis soulagée de ne pas avoir été condamnée à une peine de prison”, déclare Kelly. “Mais j’ai été reconnue coupable et je ne peux plus être arrêtée pendant cinq ans. Qu’est-ce que cela signifie pour mon droit de manifester? Qu’est-ce que cela signifie pour tous ceux qui veulent manifester pacifiquement, pour tous ceux qui veulent que les gouvernements et les entreprises atteignent les objectifs climatiques?”

Les jours et les semaines à venir nous diront si les militants et Greenpeace feront appel. Mais comment en est-on arrivé là ? En quoi consistait l’action en question ? Kelly raconte.

« Protestations, manifestations, actions, désobéissance civile…
Tout cela a toujours été nécessaire et le restera. »

Kelly, activiste greenpeace

Choix responsable

Rétroacte. Kelly a été arrêtée fin avril 2023 avec 13 autres activistes de Greenpeace après une action au terminal gazier de Fluxys à Zeebrugge. Alors qu’elle protestait bord d’un petit bateau, d’autres activistes sont montés sur les docks et on déployé un énorme calicot arborant le message : ‘Gas kills, Fluxys guilty’ (Le gaz tue, Fluxys est coupable). A travers cette action, les activistes dénoncent les investissements dans de nouvelles infrastructures gazières. Ceci est diamétralement opposé aux objectifs climatiques et est une catastrophe pour l’environnement et les droits humains.

Kelly explique: « L’argent qui va aujourd’hui au secteur gazier, dont l’exploitation est particulièrement nocive pour les êtres humains et la planète, devrait être plutôt être utilisé pour nous rendre moins dépendants de cette énergie polluante. Il pourrait par exemple servir à la construction des parcs éoliens ou à des aides financières aux personnes pour rénover leur habitation. Par nos actions ciblées, nous montrons clairement qu’il revient avant tout aux politiques et aux entreprises de faire des choix responsables plutôt que d’encourager les citoyens à diminuer la température de leur thermostat chez eux ».

Un gaz nocif

Kelly explique pourquoi Greenpeace s’en prend à Fluxys. « Flyxus utilise du gaz liquide. Ce gaz libère du méthane, qui est très nocif pour les personnes qui vivent dans les zones exploitées. Il contribue ainsi davantage à la crise climatique que le gaz transporté dans des gazoducs. De plus, l’entreprise est parvenue, depuis la guerre en Ukraine, à se présenter comme LA solution à la crise énergétique et LA réponse à l’insécurité énergétique à laquelle nous sommes confrontés. Des contrats sur le long terme ont été conclus pour la livraison de gaz liquide américain à des entreprises européennes et de nouvelles infrastructures sont construites pour importer ce gaz.

Résultat : nous sommes encore devenus plus dépendants d’une source d’énergie non-durable. Des milliards ont été dégagés pour construire encore plus de terminaux pour ce gaz et ainsi « libérer » l’Europe du gaz russe « classique ». Fluxys se profile comme une entreprise innovante qui promeut l’énergie verte. Il faut plus de transparence. Les citoyens ont droit à ces informations.”

Une action réfléchie et non-violente

Dans les mois qui ont précédé l’action, Greenpeace a régulièrement cherché à entrer en contact avec Fluxys. « Nous voulions ouvrir le dialogue avec Fluxys, mais ils ont longtemps refusé. Et lorsqu’aucun dialogue n’est possible, il faut passer à la vitesse supérieure. Ne pas se contenter de simplement envoyer des mails, diffuser des affiches ou contacter les médias… Il faut passer à l’action ! Une action pacifique et non-violente, mais avec un message direct et fort ».

« Si nous nous sommes introduits dans le terminal de Fluxys le 29 avril avec des kayaks et des petits bateaux, c’est parce qu’un long chemin avait déjà été parcouru. Nous n’agissons pas de manière irréfléchie. Au contraire, nous pesons toujours le pour et le contre. Nous sommes attentifs non seulement à la sécurité de nos activistes, mais aussi à celle des travailleurs de l’entreprise. Et nous ne causons pas de dégâts ».

48 heures d’incarcération

Greenpeace organise ses actions dans le respect de la loi. Dès le début, la police est prévenue. Et comme le témoigne Kelly, « C’était aussi le cas pour cette action. Ma tâche était de communiquer simultanément, en live, sur l’action et d’aider si quelque chose devait arriver aux grimpeurs ou aux activistes dans les kayaks. Dans un premier temps, la police nous a laissé faire. Même lorsque la police aéronautique a vérifié notre identité, tout s’est passé dans le calme. L’action pouvait continuer. A un moment donné, ils ont toutefois estimé que c’en était assez et nous avons été arrêtés. ».

Kelly et les autres activistes ont été informés qu’ils faisaient l’objet d’une arrestation administrative. « Cela signifie que vous pouvez être détenu durant maximum 12 heures » explique Kelly. « Cela fait partie des actions de désobéissance civile. Après nous avoir pris en photo et avoir pris nos empreintes digitales, nous avons été placées en cellule. Toutes les femmes ensemble. Personne n’était inquiet. Nous savions que le soir, nous serions libres ».

Des activistes de Greenpeace lors de l’action pacifique à Zeebrugge début avril.

Un revirement

Plus tard, un revirement de situation : on leur a communiqué qu’ils faisaient désormais l’objet d’une arrestation judiciaire et pouvaient donc être privés de liberté durant 48 heures. « Cela nous a coupé le souffle », soupire Kelly. « Surtout parce qu’on ne nous a pas expliqué pourquoi cela avait soudainement changé. En réponse à nos interrogations, on nous a ensuite informé que les raisons ne manquaient pas : association de malfaiteurs, terrorisme…. A ce moment-là, toutes sortes de choses vous passent par la tête, au fond de votre cellule. Et quand, en plus, vous devez demander l’autorisation pour tirer la chasse, vous laver les mains, etc., vous vous sentez vraiment très petit ».

S’ajoutent des intimidations. « Quand j’ai demandé si je pouvais exercer mon droit à passer un coup de téléphone la réponse a été : « Vous n’êtes pas aux Etats-Unis ici ». Plus tard, un autre agent, d’une autre équipe, m’a laissée appeler ».

Les poursuites

Depuis lors, Kelly et les autres activistes ont comparu trois fois devant le juge. Jusqu’à la condamnation. Kelly : « Nous sommes simplement entrés avec nos kayaks. Nous n’avons pas coupé de grillage pour entrer, ni même provoqué de dégâts. Nous sommes poursuivis sur la base d’une loi qui a été introduite pour poursuivre les transmigrants qui s’introduisent dans les ports. C’est la première fois que cette loi est utilisée pour autre chose ».


«  Le monde politique est braqué sur le court terme. L’enjeu ? Remporter les élections. Pour nous, l’important est ailleurs. Ce qui compte, c’est de prendre ses responsabilités ».

— Kelly, Activiste Greenpeace

Lors de l’audience du 4 octobre, le ministère public a requis 6 mois de prison effective pour chaque activiste. « C’est clairement disproportionné », réagit Kelly. « En tant qu’activistes, nous sommes dans notre bon droit. Certes, l’action menée sur le site de Fluxys relève de la désobéissance civile. Mais il s’agissait d’une action non-violente, légitime, fondée. De plus, nous avons déjà été privés de liberté pendant 48 heures pour cette action. Fluxys même n’a pas déposé plainte contre nous et reconnaît qu’il n’y a pas eu de dégâts. Cela montre vraiment qu’il n’est pas question ici de réparation d’un dommage, mais purement et simplement d’intimidation.  Le but est de décourager les activistes et de sanctionner des citoyens qui dénoncent un problème ».

Museler par l’intimidation

Mais le militantisme est plus fort que jamais.  « On se sert de notre cause comme exemple », explique Kelly. « En nous poursuivant alors que les gouvernements successifs ont été condamnés – à juste titre – pour l’échec de leur politique climatique. Notre premier ministre nous dit qu’il faut appuyer sur le bouton « pause » quand il est question d’une politique climatique plus ambitieuse. Comment peut-on être aussi aveugle ? La crise climatique est un fait, les conséquences dévastatrices sont visibles, notre planète et toute l’humanité sont en danger. Nous ne pouvons pas nous laisser museler. Nous devons réveiller les politiques et les entreprises et leur ouvrir les yeux au moyen d’actions pacifiques de désobéissance civile. Ils doivent prendre leurs responsabilités en main face à la crise climatique qui menace notre planète ».

Kelly et les 13 autres activistes de Greenpeace sont poursuivis pour avoir enfreint une loi visant à garder les transmigrants à l’écart des ports. On se sert maintenant de cette loi pour contrer les actions de désobéissance civile. On peut établir un lien avec l’article 406 du code pénal sur l’entrave méchante à la circulation. Dans les années 60, il avait été convenu que cet article ne s’appliquerait pas aux actions syndicales. Mais depuis 2015, le Président de la FGTB d’Anvers et dix-huit autres syndicalistes de la FGTB ont été condamnés sur cette base juridique.

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