Une taxe des millionnaires, un impôt sur la fortune, une taxe sur la spéculation boursières… Les pistes pour percevoir davantage de contributions et pour une fiscalité plus juste ne manquent pas. A l’approche des futures élections, lorsqu’il est question de fiscalité, les partis politiques suivent parfaitement les clivages gauche-droite classiques.
Les autoroutes, les bus et les trams, les zonings d’entreprises. Les écoles, les centres d’urgence, les hôpitaux. Les allocations, les soins de santé. Les services incendie, le corps enseignant, les services de ramassage des déchets. Et plus encore. Sans recettes publiques solides, aucun de ces services ne serait possible. Et qui dit recettes publiques, dit « impôts ». Ou : « contributions ».
« Contribution n’est pas un ‘gros mot’. Nous tous, jeunes et moins jeunes, mais aussi les générations qui nous suivent, nous avons besoin de la fiscalité comme moteur pour nos services collectifs, comme instrument pour organiser la solidarité par la sécurité sociale et garantir la sécurité de revenus, comme mécanisme de redistribution, comme source de revenus pour une transition juste vers l’économie à bas carbone… ».
C’est par ces propos que Thierry Bodson, Président de la FGTB fédérale, a ouvert l’après-midi d’études du « Réseau pour la Justice Fiscale »* et «Netwerk voor Rechtvaardige Fiscaliteit » au Parlement fédéral, où les décideurs politiques ont été confrontés aux positions de ces deux réseaux. Des positions qui partent d’un principe très clair : les impôts ne doivent pas nécessairement signifier une « charge » lorsqu’ils sont perçus de façon juste. Ce sont des contributions à l’intérêt général qui permettent de parvenir à une société sociale et solidaire. En vue des prochaines élections de juin, les différentes personnalités politiques ont été mises au défi et amenées à se positionner clairement sur la fiscalité. Faisons le point sur ces différentes positions.
« Moins de dépenses », disent les uns
Après plusieurs crises (coronavirus, crise énergétique…) et dans un contexte de dette publique croissante, d’austérité imposée par l’Europe, d’appel à augmenter les dépenses liées à la défense, mais aussi d’une nécessité de répondre aux besoins sociaux et de réduire les inégalités, les décideurs politiques défendent sans surprise des solutions différentes. Fait remarquable, la N-VA et les libéraux francophones du MR anticipent de concert toute piste d’amélioration de la fiscalité. La réponse serait tout simplement dans la réduction des « dépenses ».
Avec comme prétexte de « devoir utiliser plus de moyens publics de façon ciblée et d’évaluer l’efficacité de la politique de l’Etat », le MR avance que nos pouvoirs publics disposeront de recettes fiscales plus élevées quand plus de personnes seront au travail. Il s’attaque ainsi au… montant des allocations sociales! « Actuellement, certaines allocations sont tellement élevées qu’elles enlèvent tout sens au travail. Nous devons changer cette situation ». Pourtant, près de 90% des minima sociaux se situent en-dessous du seuil de pauvreté.
Même son de cloche du côté de la N-VA, qui pointe du doigt « la pression fiscale élevée » et prévient que les réformes fiscales « ne peuvent hypothéquer la disposition de la classe moyenne supérieure à payer des impôts ». Parler de « disposition à payer » de la classe moyenne « supérieure », c’est comme si on n’augmentait pas les amendes de roulage en fonction de la gravité de l’infraction par peur que les gens ne veuillent plus les payer. Pour la N-VA, la pression fiscale sur le travail doit diminuer par des réformes et des mesures d’économie…
« Plus de recettes ! », répondent les autres
Du côté des partis de gauche et du centre, les positions sont différentes. Côté PS, représenté ici par Ahmed Laaouej, on souligne notamment que les dépenses publiques sont des investissements dans la société. Elles contribuent à ce titre à la richesse générale d’un pays, sur le dos duquel on ne peut pas aussi simplement décider de réaliser des économies . Il souhaite un impôt des personnes physiques plus juste et donc plus progressif, de façon à ce que les bas et moyens revenus paient moins d’impôt qu’aujourd’hui.
L’Open Vld, la N-VA et le MR ne sont pas d’accord, même s’ils déclarent estimer que les revenus du travail sont trop taxés et que le travail doit être plus rémunérateur. Les Engagés adoptent une position intermédiaire. Les partis Vooruit, PTB- PVDA, CD&V, Groen, PS, Ecolo et Défi reconnaissent pleinement que la progressivité de l’impôt des personnes physiques est un levier pour la redistribution et doit garantir, plus qu’aujourd’hui, que les charges les plus lourdes soient supportées par les épaules les plus larges.
Un euro, c’est un euro. Oui, mais, pas toujours…
Plus d’échelles fiscales impliquent que les revenus plus élevés contribuent plus. Ce n’est pas le cas aujourd’hui… Car ce principe n’est en effet appliqué qu’aux seuls revenus du travail. La situation pourrait être nettement plus juste, en intégrant là aussi les recettes tirées de la fortune. Selon le principe « un euro, c’est un euro », qu’il s’agisse d’un euro tiré du travail, d’une rente ou d’un loyer.
Les socialistes flamands de Vooruit, par la voix de Joris Vandenbroucke, déclaraient ceci lors du débat: « On peut travailler au niveau des tranches d’imposition, mais le revenu de l’ouvrier restera alors taxé et celui de la personne qui spécule sur les actions ou qui vend des immeubles ne le sera pas. Il convient d’intégrer également ces revenus de la fortune et de faire glisser la pression fiscale vers ces revenus. Un euro, c’est un euro. Dans ce cas, taxons tous les revenus de la fortune de façon égale et progressive, évoluons vers un impôt globalisé et parvenons à des tarifs égaux à ceux des revenus du travail ».
Le PS, Groen, Ecolo, le PTB, Défi et Les Engagés partent aussi de ce principe de globalisation des revenus. « Pour le moment, notre pays est un enfer fiscal pour la population active et un paradis fiscal pour les nantis et les grandes entreprises », souligne Marco Van Hees (PTB). « Un impôt égal sur la totalité des revenus permettrait une taxation équitable ».
Sans surprise, en core, la N-VA, le CD&V, l’Open Vld et le MR ne suivent pas. La droite continue de faire une distinction entre les revenus du travail et ceux de la fortune. « Un euro n’est pas un euro ». Les nationalistes flamands et les libéraux se rejoignent. Ils avancent qu’une telle position ne tient pas compte des réalités et renvoient au « risque » pour ceux qui produisent encore plus d’argent avec leur argent.
Plus au niveau de la riche élite
Pour faire contribuer tout le monde de façon équitable, il faut non seulement lever des impôts sur les revenus, mais aussi sur les avoirs des « grosses fortunes ». Car plus encore que les revenus, la fortune est aux mains de l’élite : les 10% les plus riches possèdent plus de la moitié (55%) de la fortune dans notre pays. Ces 10% de la population belge la plus riche, possèdent près de 29% des habitations, et 79% des actions. (Source: Communiqué de la Banque nationale)
La réponse: un impôt sur la fortune. Le syndicat FGTB plaide depuis des années déjà pour un tel impôt et préconise des taux progressifs : de 0,5% à partir d’une fortune nette d’un million d’euros, vers 2% pour une fortune nette de 10 millions d’euros par exemple.
7 Belges sur 10 sont pour un impôt sur la fortune
La grande majorité des citoyens de notre pays est conquise par l’idée d’un impôt sur la fortune. Sept personnes sur dix sont pour. Néanmoins, le MR, Défi, Les Engagés, l’Open Vld, la N-VA et le CD&V* sont contre. Ils ne veulent pas non plus d’un cadastre pour répertorier qui possède quoi. Certains d’entre eux sont frileux à cette idée et tentent même la moquerie. « Et si quelqu’un trouve dans son grenier une peinture d’une grande valeur ? Va-t-on organiser des perquisitions pour vérifier ? », demande Benoît Piedboeuf (MR) sur un ton défiant.
« Ces caricatures sont un non-sens complet » répond Joris Vandenbroucke (Vooruit). « Comme si on allait venir compter dans votre cave combien de bonnes bouteilles de vin vous possédez ou encore, faire estimer votre vélo de course. Il ne faut pas lancer des chimères, mais nous pourrions déjà commencer par lever des impôts sur ce qui est connu. Il est frappant de constater que ceux qui utilisent une rhétorique catégorique par rapport aux avantages sociaux n’étendent pas le raisonnement aux groupes des super riches qui contribuent trop peu actuellement, faisant, de ce fait, payer plus tous les autres. »
Crier au loup pour protéger les riches
Prétendre que toute personne qui est parvenue à acheter un bien immobilier, ou encore la classe moyenne, paieront la même note ? C’est crier au loup pour que les nantis continuent à être épargnés. Un cadastre de la fortune englobe d’abord la propriété (foncière), les biens immobiliers – hormis l’habitation propre –, les actifs financiers comme les placements, obligations…, et la fortune ramenée sous forme de sociétés. Et pour ce qui est des collections de valeur, comme les old timers, on pourrait même également en intégrer la valeur assurée.
Ben Van Duppen (PTB) : « Tout est question de choix. Il n’y a pas d’obstacles pratiques. Pour les travailleurs, quasiment tout est pré-complété sur tax-on-web. Le fisc sait tout de nous, alors que les nantis y échappent ». Pour Jeremie Vaneeckhout (Groen), il faut aussi lever les tabous : « Dans la Flandre du CD&V, de l’Open Vld et de la N-VA, les fortunes peuvent être contrôlées à l’étranger pour voir si l’on a droit ou non à un logement social. Mais un cadastre de la fortune belge, ce n’est pas possible ».
Des clivages clairs
Il est clair que quand il est question de fiscalité, les clivages traditionnels entre la gauche et la droite subsistent. La gauche souhaite que les épaules les plus larges supportent les charges les plus lourdes. La droite souhaite surtout ne pas brusquer les fortunes. Le centre pèse bravement le pour et le contre, sans véritablement poser de choix. Et pour les conservateurs, des cotisations plus justes par tous, c’est tout simplement non… Bon à savoir, une fois dans l’isoloir.
*Ces réseaux de collaboration sont composés d’un large groupe de syndicats, d’organisations de lutte contre la pauvreté, de mouvements Nord-Sud et d’autres organisations de la société civile.
*Le CD&V est contre un impôt sur la fortune, mais pour un impôt sur les bénéfices tirés de la fortune qui n’engloberait que la croissance, soit les bénéfices supplémentaires tirés de cette fortune.