Chili | L’Histoire est à nous, c’est le peuple qui la fait

Chili | L’Histoire est à nous, c’est le peuple qui la fait

« Les multinationales agissent sans assumer leurs responsabilités et ne sont contrôlées par aucun parlement, ni par aucune instance représentative de l’intérêt général. En un mot, c’est la structure politique du monde qui est ébranlée. Les grandes entreprises multinationales nuisent non seulement aux intérêts des pays en voie de développement mais aussi, par leurs activités asservissantes et incontrôlées, aux pays industrialisés où elles s’installent. »[1]

Ces mots – visionnaires – ont été prononcés à la tribune de l’ONU en décembre 1972, par un Président sud-américain. Un Président démocratiquement élu qui se revendique socialiste. Un Président qui, il le disait lui-même lors de sa dernière interview, dirigeait « un gouvernement profondément et totalement anticapitaliste, anti-oligarchique et antiféodal [ayant pour but] de mener à bonne fin un processus révolutionnaire dans le cadre de la démocratie bourgeoise en respectant le pluralisme, la démocratie et la liberté. »[2]

Des mots révolutionnaires, dans un contexte de guerre froide et alors que la droite met méthodiquement en place sa contre-offensive néolibérale.

Des mots qui confirment ce que Nixon et Kissinger pensent de ce Président. À savoir qu’il était une plus grande menace que ne l’était Castro, car il opère démocratiquement. Il ne passe pas par la voie des armes. Il fédère le peuple et rassemble la gauche.

Des mots de Salvador Allende, qui sera renversé moins d’un an plus tard. C’était le 11 septembre 1973, lors d’un coup d’Etat dirigé par le Général Augusto Pinochet avec l’appui des USA, bien heureux de mettre fin à la « voie démocratique vers le socialisme » et d’installer leur laboratoire néolibéral. Il y a 50 ans.

“Le peuple doit être vigilant, il ne doit pas se laisser provoquer, ni massacrer, mais il doit défendre ses acquis. Il doit défendre le droit de construire avec son propre travail une vie digne et meilleure.

Salvador allende

La vía chilena al socialismo

Car, oui, cette voie chilienne vers le socialisme fonctionne. Elle est observée, elle inspire et fait rêver jusqu’en Europe. Allende est élu en 1970. Il augmente alors directement les salaires les plus bas et les allocations familiales. En à peine quelques mois, la vie des familles les plus modestes change. Et puis toutes ces mesures :

  • Nationalisations des banques et des industries valorisant les richesses naturelles et notamment le cuivre.
  • Distribution gratuite d’un demi litre de lait par jour pour tous les enfants.
  • Ouvertures de places dans les écoles et les universités.
  • Réforme agraire : votée à l’unanimité.

La haine des conservateurs contre Allende dépasse l’entendement. Tous les moyens sont bons pour l’empêcher d’agir. Entre son élection et son investiture, il avait déjà dû faire face à une tentative de coup d’Etat. En plus des campagnes de désinformation, du boycott économique et des actions violentes menées par la droite et soutenues par les Etats-Unis.

La démocratie assassinée

Le 11 septembre 73, arrive le coup d’Etat tant redouté. Pinochet installe au passage une dictature sanglante. Le parlement est dissous, les syndicats interdits, le droit du travail aboli. Le modèle économique socialiste disparaît et le Chili devient le laboratoire des apprentis sorciers de l’Ecole de Chicago. Les artistes, les intellectuels, les syndicalistes, les militants socialistes sont arrêtés, torturés, parqués dans des camps de concentration, tués. On estime aujourd’hui le nombre de personnes assassinées et disparues à plus de 3.000 et le nombre de personnes torturées à plus de 38.000. La peur s’est installée. Plusieurs centaines de milliers de Chiliens vont fuir le pays.

L’accueil des camarades

En Europe à l’époque, la gauche regardait le Chili avec beaucoup d’intérêt, d’admiration et d’espoir. François Mitterrand entre autres est allé sur place pour rencontrer Allende et ses partisans. Le coup d’Etat assène donc un coup… de massue aux socialistes européens.

En Belgique, quelques jours après le coup d’Etat, la FGTB co-organise le « Meeting national de protestation contre le putsch militaire perpétré au Chili contre le régime légal du président Allende » lors duquel Georges Debunne alors secrétaire général de la FGTB, a pris la parole.

Dans les manifestations, tout le monde connaissait parfaitement le rôle joué par les USA. On y scandait des slogans tels que « ITT assassin, bas les pattes du Chili » – du nom de cette multinationale américaine spécialisée en téléphonie, qui a joué un rôle actif dans l’organisation du coup d’Etat. Des comités d’accueil naissent dans les universités, à l’ULB, à l’UCL et à la VUB.

Tous les réfugiés chiliens ne vont pas arriver en Belgique en une fois. Leur exil prendra plusieurs années, après parfois un passage dans un autre pays ou tout simplement au gré de leur libération des camps de concentration.

Des extraits de Syndicats Magazine, tirés de plusieurs éditions datant de 1973.


Le rôle des syndicats dans l’accueil

En 1975, à l’initiative notamment de la FGTB mais aussi d’autres syndicats et d’ONG, est créé le COLARCH, le Collectif d’Accueil aux Réfugiés du Chili. Celui-ci est né du fait que ces réfugiés arrivaient en Belgique avec des convictions politiques précises puisqu’il s’agissait essentiellement de militants de gauche persécutés. Ces communistes, socialistes, syndicalistes étaient engagés pour le changement de société de leur pays. Or, une fois en Belgique, il se retrouvent dans des centres d’accueil où se trouvaient également des personnes qui fuyaient les régimes communistes d’Europe de l’Est. L’entente n’est pas très bonne.

À la FGTB, au service qui s’occupe dans les années 70 du soutien au migrants, travaille George Dassis. Aujourd’hui pensionné, il témoigne : « Le secrétaire général de la FGTB, notre camarade George Debunne, avait engagé Luis Menesses. Il était secrétaire général adjoint d’un syndicat au Chili. C’est important de le dire car c’est vraiment un acte de solidarité très concret. »

Destins croisés

George continue son récit : « On organisait des manifestations de soutien. Moi, j’avais fui la dictature en Grèce, il y avait aussi des camarades portugais et espagnols qui, eux aussi, savaient ce que c’était que la dictature et la répression. Je me souviens bien de Carmen Vega par exemple. Comme elle parlait espagnol, elle était incontournable pour l’accueil de ces gens. » Il insiste : « Tu dois parler de Jacques Yerna, secrétaire général de Liège, Aimée Lacroix à Charleroi et René Deschutter à Bruxelles. Ils ont été très actifs. » 

Le journaliste Sandro Calderon, alors enfant, a fui le Chili avec ses parents. La famille trouve refuge en Belgique. Dans sa série de podcasts, il raconte comment les réfugiés s’organisent pour aider les camarades restés au pays. Ils rencontrent ainsi Pierre Galand, d’Oxfam et René Deschutter, de la FGTB Bruxelles, pour trouver un moyen d’apporter au pays de l’argent qu’ils ont récolté. René appellera Pierre Vermeylen, ancien ministre socialiste de la Justice. Celui-ci se rend au Chili avec une délégation et “utilise” son statut de Ministre d’Etat pour cacher sur lui les importantes sommes récoltées.

Le Chili aujourd’hui

Aujourd’hui encore, plus de vingt ans après la fin de la dictature, la société chilienne est très divisée. Les inégalités n’y ont jamais été aussi fortes et ce n’est que très timidement qu’on y sort de néolibéralisme.

En 2019, de formidables mouvements sociaux – féministes, étudiants… – secouaient le pays. Ils ont abouti à la création d’une assemblée constituante, afin de remplacer la constitution chilienne. Celle-ci était toujours celle mise en place par Pinochet. Ensuite, un nouveau président, jeune, de gauche, se réclamant d’Allende, est élu.
Malheureusement, le projet constitutionnel a été rejeté par référendum… La presse de droite a joué les oiseaux de mauvais augure, effrayant la population. Le dégoût de la politique, par ailleurs, fait rage. Le tout donnant au passage l’occasion à l’extrême droite de gagner du terrain et des élus. Un vrai drame démocratique.

Est-il permis d’encore espérer ?

Donnons à Salvador Allende le mot de la fin. Dans un extrait de sa dernière allocution à la radio chilienne, alors qu’il était encerclé par les tanks, quelques heures avant de mourir :

« Le peuple doit être vigilant, il ne doit pas se laisser provoquer, ni massacrer, mais il doit défendre ses acquis. Il doit défendre le droit de construire avec son propre travail une vie digne et meilleure. […] L’Histoire ne s’arrête pas, ni avec la répression, ni avec le crime. C’est une étape à franchir, un moment difficile. Il est possible qu’ils nous écrasent mais l’avenir appartiendra au peuple, aux travailleurs. L’humanité avance vers la conquête d’une vie meilleure. (…)

Je voudrais m’adresser à la femme simple de notre terre, à la paysanne qui a cru en nous ; à l’ouvrière qui a travaillé dur et à la mère qui a toujours bien soigné ses enfants. Aux personnels de l’état, à ceux qui depuis des jours travaillent contre le coup d’état, contre ceux qui ne défendent que les avantages d’une société capitaliste. Je m’adresse à la jeunesse, à ceux qui ont chanté et ont transmis leur gaieté et leur esprit de lutte. Enfin, je m’adresse aux chiliens, ouvriers, paysans, intellectuels, à tous ceux qui seront persécutés parce que dans notre pays le fascisme est présent déjà depuis un moment. […]

L’Histoire est à nous, c’est le peuple qui la fait.»

Commémorations

Une quarantaine d’événements sont organisés en Belgique jusqu’au 18 octobre en mémoire de Salvador Allende, président chilien mort brutalement lors du coup d’État perpétré il y a 50 ans jour pour jour. Suivez le programme du Comité Allende 50, soutenu par la FGTB Bruxelles.

Pour aller plus loin :

Mais aussi:


[1] Discours de Salvador Allende à l’ONU, 4 décembre 1972

[2] Extrait de l’interview de Salvador Allende à Josy Dubié, RTBF

Photo principale prise le 31 décembre 2019 par Paulo Slachevsky. Sur la panneau nous pouvons lire “C’est seulement en luttant que nous avançons”.

Léonard Pollet

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