Les cheminots entament un marathon de résistance

Les cheminots entament un marathon de résistance

Ce lundi 17 mars, les cheminots débrayent pour de meilleures conditions de travail, pour des pensions dignes, pour le respect de leurs libertés syndicales. Et ce n’est que le début. La CGSP Cheminots, en front commun avec la CSC Transcom, entame un véritable marathon de résistance qui s’étendra jusque juillet. En cause : les mesures du gouvernement qui menacent d’aggraver davantage les conditions de travail déjà difficiles du secteur. Explications de Flore-Anne Pirson, conductrice de train et déléguée CGSP et de Pierre Lejeune, Président de la CGSP Cheminots.

Des conditions de travail dégradées

Flore-Anne est conductrice de train depuis 11 ans. Bien qu’elle aime son travail, elle est consciente des contraintes qui lui sont propres : « Nous avons des horaires irréguliers. On travaille la nuit, les w-e, les jours fériés… ». À cela s’ajoutent les longues distances parcourues. « Pendant 6 ans, je faisais 200km pour me rendre au travail. Je me levais à 1h du matin pour commencer à 3h. J’ai des collègues qui font ça depuis 10-11 ans… ». En plus de ces horaires atypiques, la charge mentale est lourde. Les cheminots véhiculent tous les jours des centaines de personnes et veillent à leur sécurité. Le personnel roulant doit d’ailleurs passer régulièrement des tests pour évaluer ses réflexes et prouver sa maîtrise des réglementations en vigueur. Mais il y a aussi les difficultés rencontrés par les accompagnateurs, comme l’agressivité de certains passagers.

Malgré la pénibilité inhérente au travail, les conditions ne cessent de se détériorer. Flore-Anne pointe du doigt la surcharge, la digitalisation qui est compliquée pour les travailleurs et travailleuses plus âgés, l’augmentation de la pression due notamment au manque de personnel, la sensation d’être plus surveillés qu’auparavant. « L’atmosphère au travail s’est alourdie au cours des dernières années notamment à cause des restrictions budgétaires imposées par les différents gouvernements », ajoute Pierre Lejeune. Et la situation ne risque pas de s’améliorer avec le gouvernement De Wever-Bouchez. Bien au contraire…

Les points qui fâchent

Les mesures du nouveau gouvernement qui suscitent la colère des cheminots : les réformes spécifiques aux pensions et les menaces de suppression du statut du personnel.

Travailler plus pour moins

Le gouvernement De Wever-Bouchez prévoit de supprimer la possibilité de départ anticipé à 55 ans pour le personnel roulant. L’âge de la pension sera progressivement relevé pour atteindre  67 ans en 2030. De 55 ans à 67 ans, donc. 12 années de travail supplémentaires en un claquement de doigts. « Dans ma fonction on parle beaucoup de ce régime de pensions. J’ai des collègues à 2 ans de la pension  qui vont devoir travailler 4-5 années de plus… pour une pension plus basse ! », s’indigne Flore-Anne.


« J’ai des collègues à 2 ans de la pension  qui vont devoir travailler 4-5 années de plus… pour une pension plus basse ! »

— Flore-Anne Pirson, déléguée CGSP et conductrice de train

Mais ce n’est pas tout. Le régime des « tantièmes », seul régime spécial pour les métiers lourds qui permet à d’autres corps de métier d’envisager des départs anticipés à la retraite, est voué à disparaître. Et cerise sur le gâteau : le gouvernement prévoit de réviser la période de référence pour le calcul du montant de la pension, entraînant une perte de plusieurs centaines d’euros pour de nombreux pensionnés.

Un statut social affaibli

Autre source d’inquiétude : la suppression de HR Rail, employeur juridique pour le personnel des chemins de fer. « L’ensemble des cheminots est engagé sous un statut unique », explique Pierre Lejeune. « C’est HR Rail qui garantit cette unicité ». Sa potentielle suppression affaiblirait le statut social des cheminots, favoriserait la contractualisation et risquerait d’entrainer des pertes d’emplois. L’entreprise pilote aussi le dialogue social et assure la présidence de la commission paritaire. « Sa disparition va détricoter le dialogue social ».

Attaques des droits syndicaux

Flore-Anne exprime également des craintes quant aux libertés syndicales. Aujourd’hui, le droit de grève des cheminots est déjà restreint par l’obligation d’assurer un service minimum. « Maintenant, ils veulent aussi instaurer la réquisition du personnel », s’inquiète la déléguée. En conséquence, les organisations syndicales se verraient confisquer leur droit de négociation. Leur rôle serait purement consultatif. Les décisions appartiendraient alors à l’autorité unilatérale des Conseils d’Administration.

Rassemblement des cheminots à la gare de Liège-Guillemins le 17 mars. Copyright photos : Sophie Lerouge

Un dialogue social compliqué

Ce mercredi 12 mars, Pierre Lejeune avait une réunion avec le ministre des pensions, Jan Jambon (N-VA). À la sortie de l’entrevue,  son constat est sans appel  : « Il n’y a aucune marge de manœuvre avec Jambon. Il nous a dit ‘l’accord de gouvernement sera respecté et ce n’est pas négociable, point’ ». Malgré ce veto, le ministre ose demander l’annulation du  plan d’action des préavis de grève. Pour le Président de la CGSP Cheminots, c’est hors de question : « Aucun élément ne justifie d’aller dans ce sens. Nous devons avoir d’autres garanties. » Aucune nouvelle réunion n’a été programmée.

Ce qui frappe le représentant syndical, c’est l’approche différente au sein du même gouvernement. Il doit négocier les points de tension avec deux cabinets distincts : celui de Jan Jambon et celui de Jean-Luc Crucke (Les Engagés), en charge du fonctionnement des chemins de fer, du statut du personnel et des mesures budgétaires. « Avec Crucke, on a une ouverture et une volonté de négocier. On a également fait intégrer une dimension tripartite à la table des discussions. » Il y aura les représentants politiques, syndicaux, mais aussi patronaux autour de la table.

La grève, seul moyen de se faire entendre

Le plan d’action des cheminots est ambitieux : grève le 17 mars, participation à la grève générale du 31 mars et quatre journées de grève par mois entre avril et juillet. Au total : 18 arrêts de travail.

« Ces grèves sont indispensables. Cela fait au moins 40 ans, depuis les années 80, que nous n’avons plus subi d’attaques aussi importantes. Et nous n’avons pas encore trouvé – en tant qu’organisations syndicales – d’autres moyens pour se faire entendre. Il n’y a que quand on menace de débrayer qu’on parvient à ouvrir des discussions. » regrette Pierre Lejeune.


« Cela fait au moins 40 ans que nous n’avons plus subi d’attaques aussi importantes. »

— Pierre Lejeune, Président de la CGSP Cheminots

Pour le représentant syndical, les coupes budgétaires imposées par le gouvernement fédéral ont un impact non seulement sur les conditions de travail, mais aussi sur la qualité des prestations du service public, aujourd’hui défaillant : la ponctualité est en berne, près de 3 500 trains sont supprimés par mois…

« On a signé un contrat avec des conditions spécifiques et on vient maintenant nous imposer des changements sans concertation », explique Flore-Anne. Mais « C’est pas que pour nous que l’on fait grève », ajoute-t-elle. « Chaque jour, des centaines de voyageurs nous confient leur vie. Si demain, le personnel est encore plus fatigué, ça posera des problèmes en termes de sécurité. » Pierre Lejeune abonde dans son sens : « Les cheminots ne se battent pas pour préserver des privilèges, comme certains médias le font croire. Ils se battent pour sauvegarder leur outil de travail, et garantir un service de qualité aux navetteurs. Ils sont prêts à passer à l’action pour y parvenir ! ».

Ioanna Gimnopoulou
Journaliste, Syndicats Magazine |  Plus de publications

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