Des bons d’État au niveau wallon : un projet irréaliste, vraiment ?

Des bons d’État au niveau wallon : un projet irréaliste, vraiment ?

Au lieu d’emprunter sur les marchés pour boucler son budget, la Wallonie pourrait faire appel à l’épargne citoyenne. Trouver des voies alternatives de financement constitue en effet un enjeu majeur pour échapper à la dépendance à l’égard des marchés financiers. Malheureusement, certains ne manquent pas d’arguments pour essayer de bloquer toute initiative en la matière : irréalisable, compliqué, trop cher, voué à l’échec… Et si on décortiquait un peu ces « arguments » ?

Souvenez-vous…

En août 2023, le gouvernement fédéral avait émis des bons d’État à un taux avantageux et avec un précompte réduit. Cette initiative avait permis de récolter près de 22 milliards d’euros pour financer l’État et les services publics.

Un mois plus tard, la FGTB wallonne avançait la proposition de lancer le même projet au niveau wallon. Cette initiative poursuivait quatre objectifs : diminuer la dépendance à l’égard des marchés financiers, dégager des ressources pour financer des projets d’intérêt général et stratégiques (comme la poursuite du financement du Plan de relance wallon), proposer un placement intéressant aux détenteurs d’épargne et faire pression sur les banques.

Cette proposition a suscité de nombreuses réactions. Parmi celles-ci, celle du Ministre wallon du Budget et des Finances, Adrien Dolimont, dont la position a évolué au fil du temps. Elle est en effet passée d’un « oui mais non » (bonne idée mais pas envisageable à court terme) à un « projet injuste à oublier ». Quels sont les arguments développés par le Ministre pour décider de ne pas avancer sur ce dossier ? Et, surtout, ses arguments sont-ils crédibles ?

Un bon d’État wallon : une idée à oublier au plus vite. Vraiment ?

Comme de nombreux pays et régions, la Wallonie est dépendante des marchés financiers : elle doit emprunter environ 3 milliards d’euros chaque année pour boucler son budget. Et cette situation va perdurer dans les années qui viennent. Trouver une alternative crédible et durable de financement de la Région ne peut donc qu’être positif. La Cellule de la gestion de la dette wallonne ne dit d’ailleurs pas autre chose : « proposer ce type de produit pourrait être une source de diversification des moyens de financement dans le futur. »

Les obstacles seraient insurmontables. Ah bon ?

Dans sa réponse donnée en commission du budget, le Ministre a déroulé plusieurs arguments en termes de contraintes techniques : besoin d’un accord du Ministre fédéral des Finances, manque de réseau de distribution, nécessité d’un accord avec le fédéral pour le précompte réduit, besoin de
lancer une campagne d’information…

Il est évident qu’une telle opération doit se préparer correctement. Mais ces obstacles, aussi réels soient-ils, ne semblent pas du tout insurmontables… À moins qu’ils ne servent de prétextes pour dissimuler une volonté de ne rien faire ?

L’initiative serait vouée à l’écher. Réellement ?

Le Ministre essaye également de convaincre qu’un bon d’État wallon ne rapporterait que des miettes. Le 25 septembre 2023, il évoquait un montant de maximum 200 millions d’euros. On se demande bien d’où vient ce calcul et comment il peut arriver à ce seul et unique montant, sans objectiver quoi que ce soit,
que ce soit en termes de taux ou de durée de l’emprunt.

À l’heure actuelle, tout semble indiquer que la demande pour un bon avec un taux intéressant et une maturité relativement courte reste forte. Jean Deboutte, directeur de l’Agence fédérale de la dette déclarait d’ailleurs en novembre : « Je suis sûr que si on avait fait la même opération qu’en septembre, au
même taux environ, on aurait eu un très grand succès. Peut-être même un succès encore plus important qu’il y a trois mois. »

Cela coûterait plus cher à la Wallonie que d’emprunter sur les marchés. Pas si vite !

Si la question de la durée est importante, celle du taux est clef. La question est donc la suivante : la Région est-elle en mesure de proposer un taux avantageux, à la fois pour les particuliers et pour elle-même, c’est-à-dire inférieur ou égale aux marchés financiers ?

En octobre, il semble que c’était bel et bien le cas, puisque le Ministre déclarait : « Selon la Cellule de la dette, dans les conditions de taux actuels, la Wallonie pourrait proposer un taux de 3,4% brut à trois ans, ce qui donnerait un rendement net de 2,2% ».

Même si les taux auxquels emprunte la Région sur les marchés ne sont pas disponibles publiquement et en temps réel, on peut les estimer globalement à 40 points de pourcentage de plus que les taux appliqués à l’État fédéral. À titre d’exemple, l’État fédéral emprunte aujourd’hui à un an à du 3,4%. Cela signifie que la Région wallonne pourrait proposer un bon d’État wallon à 1 an à un taux de 3,6% brut (2,5% net avec un précompte non réduit, soit à 30%), sans que cela ne coûte rien aux finances publiques, et ce qui serait réellement attractif pour les personnes ayant la chance de disposer d’une épargne. Des bons wallons avec une maturité de 2,3 ou 5 ans devraient pouvoir également s’envisager.

Un bon d’État wallon provoquerait une augmentation des taux ? Bien au contraire !

À plusieurs reprises, le Ministre a affirmé que l’émission d’un tel bon aurait pour conséquence d’augmenter les taux pratiqués par les marchés financiers. Ce raisonnement semble très contestable et contraire à la réalité. En effet, un gouvernement qui montre qu’il est capable de se passer des marchés financiers (dans ce cas-ci en récoltant l’épargne de ses résidentes et résidents) lance un message fort aux marchés, ce qui a, en règle générale, des conséquences positives sur les taux.

C’est d’ailleurs ce qui s’est passé avec le dernier bon d’État fédéral. Le directeur de l’Agence de la dette a en effet indiqué que le succès de ce bon a eu un effet positif sur les taux d’intérêt belges, qui ont légèrement baissé par rapport à ceux des pays voisins au début du mois de septembre.

Epargne citoyenne et populaire : et si on innovait un peu ?

L’émission d’un bon d’État au niveau wallon comporte certaines difficultés et doit évidemment être préparé en amont. Mais se limiter à affirmer que ce projet est irréalisable et injuste pour justifier son inaction constitue une erreur importante. Il est fondamental de rechercher toutes les alternatives possibles pour desserrer l’étau dans lequel se trouvent les finances publiques wallonnes. La diminution
de la dépendance aux marchés financiers devrait constituer une priorité pour tout gouvernement, actuel et futur.

À moins que ce manque évident de volonté ne traduise une autre volonté, celle de ne pas aller à l’encontre des desiderata des banques, qui n’ont aucun intérêt à ce qu’une telle initiative se mette en place. Ne l’oublions pas, les banques sont rémunérées à un taux de 4% sur les dépôts qu’elles
placent à la Banque centrale européenne, soit beaucoup plus que ce qu’elles offrent à leurs clientes et clients. Les 22 milliards récoltés par l’État ont donc entraîné, pour elles, un manque à gagner de 900 millions d’euros.

Bien sûr, l’émission de bons d’État wallons n’est pas la solution miracle qui règlerait tous les problèmes. Cette mesure ne constitue qu’un élément parmi d’autres qui doivent s’articuler dans une proposition alternative d’ensemble, qui vise à alléger le poids de la dette, se libérer du diktat des marchés financiers, rompre radicalement avec les politiques d’austérité, mais aussi lutter contre les inégalités.

C’est dans ce cadre que la FGTB wallonne a également avancé la proposition d’un Livret A du type de celui existant en France. Ce compte bancaire réglementé, bien que comportant certaines faiblesses, est le plus ancien produit d’épargne de nos voisins et joue un rôle doublement positif : garantir une rémunération correcte aux épargnantes et épargnants, et financer des projets de long terme, en particulier la construction de logement sociaux. Il existe également en France le Livret d’épargne populaire, uniquement destiné aux personnes aux revenus modestes, qui propose un taux de 5 % et dispose d’une manne de 20 milliards d’euros. Pourquoi ce qui est possible en France ne le serait-il pas en Belgique ?

Olivier Bonfond, économiste

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