Fast fashion: mode rapide, mode qui passe, mode éphémère. Mode pas chère, souvent, celle qu’on jette après une saison. Un principe connu et épuisé par les grandes chaînes de vêtements, avec des collections qui changent à vitesse grand V. La fast fashion se prétend aujourd’hui plus éthique, plus transparente, entre « coton bio » et campagnes de greenwashing. En arrière-plan, reste le gigantesque secteur de l’habillement, ses conditions de travail, et ses salaires. A l’heure du Black Friday et des promos indécentes en boutique comme sur internet, faisons le point.
« L’industrie de la mode d’aujourd’hui est devenue synonyme de surconsommation, d’une multiplication des déchets, de pollution généralisée et d’exploitation des travailleurs dans les chaînes d’approvisionnement mondiales. Ce qui est moins connu, c’est que le modèle commercial insatiable de la fast fashion est rendu possible par des fibres synthétiques bon marché, qui sont produites à partir de combustibles fossiles, principalement du pétrole et du gaz. »
Changing Markets Foundation
Des slogans « verts » souvent trompeurs
La fondation « Changing Markets » a pour mission de dénoncer les pratiques irresponsables de grandes entreprises, en vue d’avancer vers une économie et une consommation plus durables. En juin de cette année, elle donnait les résultats d’une étude réalisée auprès de 46 grandes marques du secteur de l’habillement. 46 marques qui revendiquent une prétendue « transparence » quant à leurs pratiques. Citons Zara, H&M, Burberry, Primark, Nike… Le constat est sans appel. 59% des revendications « écologiques » de ces 46 acteurs majeurs de la mode sont mensongères, et induisent le consommateur en erreur. Exemples de greenwashing éhonté: de fausses allégations selon lesquelles les produits synthétiques sont « recyclables », ou étiquetés « durables », sans aucun fondement.
Le secteur de la mode « rapide » reste en effet largement dépendant de fibres synthétiques et des énergies fossiles. Le polyester – un plastique – se retrouve dans plus de la moitié de tous les textiles. « La collection Conscious de chez H&M utilise non seulement plus de matières synthétiques que la collection principale, mais également un article sur cinq analysé s’est avéré être composé à 100 % de matières synthétiques dérivées de combustibles fossiles », indique le rapport.
« Fast » fashion: plus le vêtement est bon marché, plus vite il finira à la poubelle
achACT est le représentant belge de la Clean Clothes Campaign, et travaille à l’amélioration des conditions de travail dans le secteur mondialisé de l’habillement. La FGTB est membre du réseau achACT. Outre l’évidente problématique liée à la pollution et à la production de déchets, achACT dénonce les conditions salariales des personnes qui, chaque jour, produisent les vêtements portés dans le monde entier.
« Le secteur de l’habillement fait partie des secteurs les plus émetteurs en CO2 de la planète, et produit énormément de déchets et de produits toxiques qui polluent l’environnement et les communautés. Plus les vêtements sont bon marché, plus on en achète et plus vite ils finissent à la poubelle. Payer des salaires précaires nuit à la viabilité et à la résilience des économies mondiales. »
achACT
93% des marques ne peuvent prouver qu’elles paient un salaire vital
L’an dernier, lors de sa campagne « Fashion checker », achACT indiquait que 93% des marques ne peuvent prouver que les salaires payés aux ouvriers et ouvrières du textile à travers le monde sont « vitaux ». Mais qu’est-ce qui rend un salaire « vital »? C’est un salaire qui permet aux travailleurs et travailleuses de subvenir à leurs besoins fondamentaux, et à ceux de leur famille. En bref, cela implique qu’en travaillant à temps plein, sans avoir recours à des heures supplémentaires ou à de multiples jobs, le salaire doit permettre de se nourrir, se loger, se vêtir, se soigner, accéder à l’eau potable, à l’éducation, aux transports, et enfin à une petite épargne permettant entre autres de faire face aux dépenses imprévues. On en est très loin aujourd’hui.
Le cercle vicieux de la pauvreté
Les recherches d’achACT et, au niveau international, de la Clean Clothes Campaign, montrent qu’actuellement aucun travailleur, aucune travailleuse du textile en Asie, Europe de l’Est, Afrique ou Amérique centrale ne gagne suffisamment pour prétendre à une vie digne. Si l’on prend l’exemple du Bangladesh : le salaire minimum s’élève environ à 80€ par mois. Selon les estimations et les revendications syndicales, le salaire « vital » devrait être, lui, quatre fois plus élevé. Pour survivre, les travailleurs et travailleuses cumulent les emplois et les heures supplémentaires.
« Au total, ce sont près de 60 millions de personnes qui font fonctionner l’industrie de l’habillement, permettant à celle-ci de générer des profits qui se comptent en milliards. L’industrie globalisée a justifié la délocalisation de la fabrication des vêtements dans des pays à bas salaires par la création d’emplois, soulignant que ce sont en premier lieu les femmes qui en bénéficient (elles représentent 80 % des emplois dans le secteur). Pourtant, les travaillleurs et travailleuses de l’habillement — et les femmes en particulier — ne touchent qu’une part infime de la valeur créée dans la filière d’approvisionnement. Afin de joindre les deux bouts, la majorité combine plusieurs jobs et ne comptent pas leurs heures. Ces personnes se retrouvent prises dans le cercle vicieux de la pauvreté : les heures supplémentaires excessives et la dépendance à l’emploi ne laissent que peu ou pas de possibilité de lutter pour s’extirper de ce système d’exploitation. » (achACT)
Les femmes, éternelles précaires
L’industrie de la mode occupe, en grande partie, des femmes. Les salaires sont donc d’autant plus bas, écart salarial oblige, et la tendance se poursuit. Des écarts très importants sont encore d’application dans les pays producteurs de vêtements. Les femmes occupent traditionnellent les secteurs les plus mal payés, et les emplois les plus précaires.
La crise du Covid n’a rien arrangé. Entre annulations de commandes massives, fermeture de nombreuses usines, et une
précarité des statuts qui a laissé de nombreux·ses ouvrier·ère·s sur le carreau, le tribut a été lourd. À cela s’ajoutent de nombreux foyers de contamination dans les usines. AchACT revendique aujourd’hui la transparence, et une amélioration des conditions de travail dans ce secteur.
Et la sécurité ?
L’effondrement du Rana Plaza en 2013 est devenu un douloureux rappel des conditions de travail déplorables dans l’industrie mondiale du textile. Ce jour-là, 1134 travailleurs et surtout travailleuses du textile à Savar, au Bangladesh, ont péri sous les décombres. S’ajoutent plus de deux mille blessés. Depuis lors, les campagnes se multiplient en faveur d’une responsabilisation, et d’une sécurisation, du secteur. ACHACT, que soutient la FGTB, multiplie les appels vers les grandes enseignes du textile. Aujourd’hui, qu’en est-il?
Un nouvel accord « Bangladesh »
Fin août 2021, les organisations syndicales et les acteurs de l’industrie de l’habillement signaient le nouvel « Accord Bangladesh ». Un accord signé in extremis, alors que l’ancien document, signé quelques semaines après la tragédie du Rana Plaza, venait à expiration. Pas de date limite, pourtant, sur la santé et la sécurité des travailleurs! L’accord, contraignant, oblige les marques signataires à prendre toutes les mesures possible en matière, entre autres, de sécurité des bâtiments et de prévention incendie dans les usines.
« Ce nouvel accord maintient les éléments essentiels de l’Accord Bangladesh : la force exécutoire des engagements des marques, un mécanisme de surveillance indépendant, l’obligation pour les marques et enseignes de payer aux fournisseurs des prix suffisants pour soutenir des lieux de travail sûrs, et l’obligation de cesser de faire affaire avec toute usine qui refuse de fonctionner en toute sécurité. Au-delà du Bangladesh, le nouvel accord permet l’expansion à d’autres pays de production où la vie des travailleur·euses reste quotidiennement en danger. » (source: achACT)
Interpeller les marques
Rien n’est gagné pour autant. Si de nombreuses marques très connues ont signé l’accord en question, force est de constater que d’autres font de la résistance. Pour n’en citer que quelques unes: Desigual, Camaïeu, Julies, Kiabi, Auchan… La liste complète est ici, sur le « Brand tracker » d’Achact. La plateforme propose via son site d’interpeller les marques en question, pour les inciter à s’engager.
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