Pierre Larrouturou : « La semaine de quatre jours, ce n’est pas un rêve »

Pierre Larrouturou : « La semaine de quatre jours, ce n’est pas un rêve »

Rencontre avec Pierre Larrouturou, économiste et homme politique français spécialiste de la question du partage du temps de travail. Il nous explique en quoi la semaine de quatre jours est une véritable réponse aux défis d’aujourd’hui. Un entretien réalisé dans le cadre de l’émission Regards FGTB, que vous pouvez visionner intégralement ci-dessous.

Urgence sociale et climatique

La semaine de quatre jours est plus que jamais d’actualité, dans la situation d’état d’urgence dans lequel nous nous trouvons actuellement.

Aujourd’hui, l’urgence est de gagner la bataille contre le virus. Mais il faut quand même réfléchir au monde d’après. Il y a un an, il y avait un grand débat sur ce qu’allait être ce monde d’après. S’il allait être plus équilibré, plus fraternel. Et aujourd’hui, j’ai l’impression que ce débat a disparu. Il y a vraiment le risque que le monde d’après soit comme le monde d’avant, mais en pire. Avec des États et des entreprises surendettés, et une pression de plus en plus grande sur les salariés, les sous-traitants…  

Des pays plus riches, des travailleurs plus pauvres

On voit de plus en plus de gens qui ont perdu leur boulot et qui sombrent dans la pauvreté. Nos pays n’ont jamais été aussi riches, mais il n’y a jamais eu autant de chômeurs, de précaires. Quant à la crise écologique, on essaie de nous faire croire que nos émissions de CO2 ont diminué, et qu’on peut un oublier la crise climatique. Je crois qu’ils se trompent. Car les feux de forêt ont pris une telle ampleur l’augmentation des émissions de CO2 est catastrophique. On ne peut pas oublier le dérèglement climatique. Le monstre est en train d’échapper à ses créateurs. 

En quoi la semaine de quatre jours peut-elle être une réponse face à ces urgences ?

La semaine de quatre jours, ce n’est pas un rêve, il y a déjà 400 entreprises en France qui la pratiquent. Oui, c’est un élément fondamental de la solution. Ce n’est pas la baguette magique, mais on ne pourra pas financer les pensions, sortir du chômage de masse, de la précarité, si on ne peut pas de relancer la négociation sur les quatre jours, j’en suis absolument convaincu. C’est une impasse de compter sur le retour de la croissance. Beaucoup d’hommes et de femmes politiques considèrent le virus comme une « parenthèse », et qu’ensuite la croissance reviendra. Je ne supporte plus ce discours. Il faut être aveugle, au vu des courbes depuis 50 ans, pour penser que la croissance revient.

« Entre ceux qui font zéro heure, et ceux qui font des burn-out »

Premièrement, la croissance n’est plus la solution, et deuxièmement, le chômage concerne tout le monde.

Pierre Larrouturou

Des gens « opposent » ceux qui travaillent et ceux qui seraient les « assistés », qui profitent du système. Il y a ceux qui font zéro heure par semaine, ceux qui sont au chômage, mais aussi ceux qui font des burn-out et qui acceptent de travailler de plus en plus, parce qu’ils n’ont pas de capacité de négociation. La peur du chômage déséquilibre la négociation sur les salaires. Dans beaucoup d’entreprises, on entend : « Si t’es pas content, tu peux aller voir ailleurs ». Le chômage fout tout en l’air. D’un côté il y a le chômage de masse, responsable, on le sait, de milliers de morts ; de l’autre côté il y a les burn-out et tout ceux qui n’ont pas le choix, parce qu’il faut « tenir bon ». Ce partage du travail est stupide. Il faut négocier une autre répartition.

La semaine de quatre jours, c’est possible ?

C’est important, et c’est possible. L’idée est très simple. Si une entreprise passe à la semaine de 4 jours, si elle crée 10% d’emplois, de vrais emplois, en CDI, elle arrête de payer les cotisations de chômage. C’est comme ça que c’est possible, sans baisser les salaires, et sans augmenter les dépenses salariales pour l’entreprise. En France, citons les yaourt Mamie Nova, qui est passée à 4 jours. Elle a créé 120 emplois en faisant ça. 120 personnes qui retrouvent un emploi, la dignité, qui paient de la TVA, des impôts, qui cotisent pour les caisses de retraite.

En Belgique, on pourrait créer 200 000 emplois, de vrais emplois, en faisant cela. C’est efficace pour financer les caisses de sécu, limiter les burn-out, et retrouver du temps pour vivre ! Il y a un gain pour la qualité de vie des gens, et pour l’entreprise. C’est un levier puissant pour éviter une crise sociale gravissime et pour vivre mieux.

72% des Belges favorables à la semaine de quatre jours

Et dans les métiers où ce n’est pas « aussi simple » ?

72% des Belges sont favorables à la semaine de quatre jours, selon une enquête Solidaris publiée dans Le Soir. C’est un débat de société. Dans certains secteurs cela peut être fait en deux ou trois ans. Il y a des secteurs où il faudra plus de temps, en raison de la formation nécessaire. Il faut donner un cap et accélérer partout, mais là où il faut former, il faut ouvrir les écoles.

Cela fait 25 ans que tu défends cette thèse, et autant de temps que les responsables politiques te donnent raison, mais ne le font pas. Tu dis qu’ils ont du sang sur les mains.

Oui, ils ont du sang sur les mains. J’ai porté plainte contre François Hollande et Emmanuel Macron, et d’autres, car leur inertie est responsable de milliers de morts. Il faut mettre une pression plus forte. La question est philosophique : est-ce que l’humanité va vers son suicide, en le sachant, ou est-ce qu’elle est capable d’un sursaut ? On sait qu’on va vers un suicide de l’humanité dans les trente ans qui viennent. Ce n’est pas un mot exagéré. Si on combine la crise climatique, sociale, démocratique, et qu’on compare avec ce qui s’est passé en 1929, on va vers la barbarie. Il faut « foutre la pression », de manière non-violente, sur nos dirigeants.

Le CEPAG et la FGTB wallonne ont publié une brochure intitulée : « La semaine de 4 jours en 32 heures : le partage ou la barbarie ». Nos enfants nous jetteront des cailloux dans 20 ans si on n’est pas capable de prendre de bonnes décisions maintenant. La semaine de 4 jours, c’est possible. C’est un mouvement historique. Au fil des réformes, on travaille aujourd’hui trois fois moins que nos aïeux. Pourtant, depuis 40 ans, le sujet de la réduction du temps de travail est devenu tabou. »

Est-ce que notre boussole, c’est la dignité humaine, où chacun est libre, avec une vie digne ? Ou est-ce que notre boussole c’est juste l’argent qui va aux actionnaires et les marchés financiers ?

Pierre Larrouturou

Est-ce que tu restes optimiste, aujourd’hui ?

Ca dépend des jours, mais l’Histoire de l’humanité montre que souvent c’est quand on est tout proche du précipice que les gens se mettent en mouvement. Plein de jeunes sont dans la rue pour agir pour le climat. Dans tous les milieux, des gens disent qu’il faut, sur les questions sociales, changer de système. L’esprit se révolte de voir que l’humanité va vers son suicide, si on n’est pas capables d’un sursaut.

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