Le temps était particulièrement maussade en ce dimanche 7 mai, mais la pluie n’a pas dilué la motivation. Des centaines de parapluies se sont ouverts devant le podium de la Coalition 8 mai. Un podium chargé d’émotion, installé aux abords du très symbolique Fort de Breendonk. Où tant de prisonniers juifs, résistants, opposants politiques, cibles et victimes de l’horreur nazie, ont souffert ou péri pendant la Deuxième Guerre mondiale. Commémoration.
Reconnaître les signes
La Coalition 8 mai se réunissait pour la deuxième année consécutive au Fort de Breendonk, dans la province d’Anvers. Afin de réclamer que le 8 mai, jour de la victoire contre le nazisme, redevienne un jour férié, un jour de mémoire, et enfin un jour consacré à la lutte contre l’extrême droite. Lancée par Ellen De Soete, militante et fille de résistante, la Coalition 8 mai réunit des acteurs du monde syndical, culturel, associatif, universitaire. Né en Flandre, le mouvement grandit peu à peu et se diffuse aujourd’hui dans tout le pays. Le 8 mai, des événements seront organisés dans chaque province. Une victoire. « Associer l’extrême droite au 8 mai n’est pas anodin. Ma mère résistante, m’a plusieurs fois mise en garde à la fin de sa vie contre les signes qu’elle reconnaissait, depuis les années 30. » Car si le devoir de mémoire est essentiel, il doit être associé à un devoir de vigilance quotidien.
L’évadé du 20e convoi
Pour en parler, Simon Gronowski. L’homme de 91 ans monte sur scène entourés de jeunes gens. Son histoire, il la raconte sans fard. « Les nazis ont tué ma sœur et ma mère en 1943, dans une chambre à gaz d’Auschwitz. Mon père est mort en 1945, de désespoir. J’avais 11 ans quand j’ai été fait prisonnier avec ma mère. » Simon passera une nuit dans les caves de la Gestapo à Bruxelles, et quelques semaines à la caserne Dossin. Puis sera envoyé, comme tant d’autres, vers la mort dans un wagon à bestiau. Il se trouve dans le 20e convoi qui quittera la Belgique à destination d’Auschwitz. Mais les circonstances permettent son évasion. Profitant d’un ralentissement, le petit Simon sautera du train, encouragé par sa mère. Celle-ci, malheureusement, n’aura pas le temps de le suivre. Sa sœur non plus. Simon parvient à s’enfuir seul, et ne sera jamais repris.
Pendant 60 ans, il va se taire. Il étudie, grandit, décroche son doctorat en droit. Il devient musicien de jazz, en autodidacte. Mais aujourd’hui, Simon Gronowski est surtout « la voix de ma mère, de mon père, de ma soeur ». Il met en garde la jeunesse, au fil de ses interventions, contre les dangers de l’extrême droite actuelle, tous partis confondus, et « contre les leaders de ces partis, où l’on retrouve des néonazis et des gens très dangereux ».
Sur scène également, plusieurs artistes, dont le rappeur et slameur Fatih De Vos-Şahan. Dans un texte fort, il appelle également à la résistance et à l’unité. « Même les plantes comprennent qu’elles poussent mieux lorsqu’elles sont interconnectées. »
La concertation sociale, fruit de la Résistance
La Coalition 8 mai compte en son sein nombre de syndicalistes. Unis, combatifs. Car le mouvement syndical est intrinsèquement et historiquement l’ennemi de l’extrême droite. « Les organisations syndicales sont particulièrement visées dès que l’extrême droite arrive au pouvoir », indique Thierry Bodson, président de la FGTB, dans sa prise de parole. « On l’a vu il y a encore quelques mois, avec le saccage du bâtiment de la CGIL en Italie. En Belgique, on constate également la remise en cause du rôle des syndicats, de sa légitimité à représenter le monde du travail, de la concertation sociale. Il faut rappeler que le Pacte social, la concertation sociale en Belgique viennent de la Résistance. Fondamentalement, dans une saine démocratie, il faut un pouvoir et un contre-pouvoir. Ils doivent être respectés l’un et l’autre pour que cette démocratie vive. Et aujourd’hui, il est gravissime de constater le nombre d’attaques au droit de grèves, les condamnations de syndicalistes… La démocratie est en danger. »
Augmenter les inégalités = faire le lit de l’extrême droite
Thierry Bodson poursuit. « Alors certainement, ces attaques ne sont pas de la même ampleur que ce qui s’est passé ici il y a 80 ans. Mais nous allons dans une mauvaise direction. Nous faisons face, dans ce pays, à la restriction de certaines de nos libertés fondamentales. Il faudra qu’il y ait une forte réaction de toute la société civile. Parce que cette restriction concerne, au delà des syndicats, l’ensemble des mouvements sociaux et citoyens. En si l’on affaiblit ces mouvements, les inégalités risquent d’augmenter. L’injustice aussi, et avec elle le sentiment qu’on se bat souvent pour ne rien obtenir. Et c’est ce qui nous met face à un double danger: une montée importante des mouvements et des partis d’extrême-droite, mais aussi la diffusion de propos populistes au sein d’une partie de la droite traditionnelle. Je ne mets pas tout le monde dans le même panier, mais il faut reconnaître que dans certains partis traditionnellement placés à droite, le bouc émissaire, qu’il s’appelle « chômeurs », « sans-papiers » ou « malades » est de plus en plus souvent pointé du doigt. »
Les organisations syndicales continueront, même dans un environnement hostile, à être des acteurs de ce devoir de vigilance.
Thierry Bodson
Pour suivre les événements de 8 mai et soutenir la revendication de faire de cette date un jour férié officiel, rejoignez la Coalition 8 mai.