Hej ! Quand on pense au géant jaune et bleu de l’ameublement, on imagine une entreprise « family » friendly, soucieuse de l’environnement et, par extension, du bien-être de ses travailleurs et travailleuses. Mais derrière l’image lisse du modèle scandinave, la réalité est bien plus rude : polyvalence à outrance, maladies professionnelles en hausse et conditions de travail dégradées. Après plusieurs signaux d’alarme ignorés par la direction, la colère a fini par exploser. Les travailleurs et travailleuses d’IKEA Hognoul ont mené une grève de 10 jours et ont fini par décrocher un accord.
Polyvalence ou exploitation ?
Tout commence il y a environ deux ans, lorsque l’entreprise décide d’imposer un système de « polyvalence », malgré la réticence des organisations syndicales. « Face à cette décision, nous voulions renégocier une nouvelle convention collective, car celle en vigueur datait encore de 1991 », explique Nectaria Saroglou, permanente Commerce au SETCa Liège et coordinatrice nationale IKEA. « La direction a rejeté toutes nos propositions et a imposé sa vision à travers des avenants individuels aux contrats. »
Mais concrètement, la « polyvalence », c’est quoi ? Dans les faits, les travailleurs affectés à un poste se retrouvent régulièrement envoyés dans un autre service, souvent sans formation, pour pallier l’absence d’un collègue. Résultat : stress, surcharge et désorganisation. « Ils sont à bout de souffle. Quand on déforce sans arrêt un service pour en renforcer un autre, les travailleurs n’arrivent jamais au bout de leurs tâches. Ils sont en débordement continue. » s’indigne la syndicaliste. « Ils n’ont même plus la possibilité de prendre congé. En mai, un travailleur a voulu prendre une journée de congé pour assister au spectacle de son enfant. On le lui a refusé. »




Explosion des maladies, inaction de la direction
Ils sont une centaine de travailleurs en rouge, vert et bleu devant le magasin à Hognoul. Parmi eux, Serena d’Angelo, qui travaille chez IKEA Hognoul depuis 34 ans. « C’est mon premier travail », confie-t-elle, la voix remplie d’émotion. Aujourd’hui, elle est en burn-out depuis six mois. « C’est beaucoup de pression. En une journée, on peut occuper trois ou quatre postes différents. On nous demande de jongler sans arrêt entre différentes fonctions, sans nous prévenir à l’avance », raconte-t-elle. « On nous déforce pour aller renforcer ailleurs… »
Employée à la caisse, Serena évoque aussi les agressions dont sont victimes les travailleurs et travailleuses. « Samedi, une collègue s’est fait agripper par le cou par un client », déplore-t-elle. Elle pointe également le manque de considération de la direction : « Quand on tente d’expliquer que certaines décisions qui nous affecteront ne sont pas une bonne idée, on nous rit au nez. »
Face au manque d’effectifs, cela fait plus d’un an que le personnel tire la sonnette d’alarme. Mais la direction reste sourde à ses revendications. Résultat : « le taux de maladie explose, les burn-out se multiplient. », déplore Calogero Arrigo, délégué SETCa depuis 10 ans et employé de la maison depuis presque 30 ans. « Ceux qui restent voient leur charge de travail s’alourdir. Et quand les absents reviennent, ce sont les autres qui craquent à leur tour. C’est un cercle vicieux. On ne remplace ni les malades, ni les pensionnés… »

« Ceux qui restent voient leur charge de travail s’alourdir. Et quand les absents reviennent, ce sont les autres qui craquent à leur tour. C’est un cercle vicieux. »
— Calogero Arrigo, délégué SETCa
Un modèle rentable sur le dos des travailleurs
Souvent, les réorganisations de personnel s’expliquent par des difficultés économiques. Chez IKEA, ce n’est pas le cas. « IKEA est une enseigne qui fait énormément de bénéfices », explique Nectaria. « Malgré cela, en 2019, l’entreprise a tout de même eu recours à une procédure Renault. Non pas parce qu’elle était en difficulté, mais pour mettre en place une organisation dite “d’avenir” – autrement dit, encore plus rentable. » Aujourd’hui, le même modèle perdure. « On vend souvent le modèle scandinave comme exemplaire en matière de conditions de travail. Pourtant, de ce que j’en sais, en Suède, les travailleurs ont tous des temps pleins. Ici, c’est une minorité. Néanmoins, du travail, il y en a… »
Ras-le-bol général
Le lundi 29 septembre, le vase a débordé. Les travailleurs et travailleuses d’IKEA Hognoul ont décidé d’arrêter le travail. « C’était un ras-le-bol général. C’en était trop. Il était temps de renégocier les conditions de travail », explique la permanente du SETCa. Le mouvement a immédiatement pris : 80 % du personnel s’est mis à l’arrêt.
« Je suis venue vendredi avec la boule au ventre. Mais je me suis dit : il faut que je vienne, c’est aussi mon combat », confie Serena. La revendication des travailleurs est simple : « Des bras, des bras et encore des bras ! », résume le délégué syndical. « On ne demande même pas d’augmentation salariale. On veut simplement plus de personnel pour travailler dans de bonnes conditions. »
Je suis venue vendredi avec la boule au ventre.
serena D’Angelo, travailleuse en burn-out
Mais je me suis dit : il faut que je vienne, c’est aussi mon combat.
Le vendredi, à la veille du week-end, s’est tenue la première négociation. La proposition de la direction a été refusée par les travailleurs, car jugée insuffisante . « Elle balaie d’un revers de main toutes les revendications des travailleurs. C’est inacceptable », dénonce Calogero, délégué.
La pression monte
Face à ce blocage, le mouvement s’est intensifié. Alors que, jusque-là, le magasin restait ouvert et fonctionnait tant bien que mal avec le peu d’effectifs disponibles, lundi dernier, les travailleurs ont décidé de fermer complètement le site. Leur détermination a fait tache d’huile : cinq autres magasins confrontés aux mêmes difficultés ont témoigné leur solidarité en organisant des arrêts de travail – Mons, Anderlecht, Wilrijk, Gandet Zaventem. « Les travailleurs et travailleuses sont déterminés. Ils ne vont rien lâcher », conclut la représentante du SETCa.
Mercredi midi, à quatre heures de la conciliation, un huissier s’est présenté sur le piquet. Il a fait lever la grève et rouvrir le magasin aux clients, infligeant 1 000 euros d’astreinte à quatre représentants syndicaux. « Je m’attendais à tout », réagit Nectaria.

La lutte paie
Après dix jours de grève, syndicats et direction sont finalement parvenus à un accord. Les représentants des travailleurs ont obtenu treize nouveaux CDI, ainsi qu’une réorganisation du travail à travers des groupes de travail et d’évaluations régulières. Certains CDD pourraient également être transformés en CDI. « Nous, ce qu’on veut, c’est des CDI. Les CDD, ce sont des pansements : ça ne résout rien sur le long terme », explique la permanente syndicale. Le reste du travail reste à faire, reconnaît-elle, mais la satisfaction est là : la lutte a payé.
Ce jeudi matin, les travailleuses et travailleurs d’IKEA Hognoul ont repris le travail. Une réunion nationale est prévue le 15 octobre. « Nous voulons encadrer le travail étudiant et l’application de la polyvalence », précise encore la permanente. La lutte continue, au niveau national cette fois-ci.