Bruno Verlaeckt est président de l’ABVV Antwerpen et de la Centrale générale Antwerpen-Waasland. Vincent Scheltiens est historien à l’Université d’Anvers. Ensemble, ils ont examiné le phénomène de l’extrême droite. Leur ouvrage s’appelle: « Extrême droite, l’histoire ne se répète pas… de la même manière ». A la fois une analyse et un avertissement. Rencontre.
Bruno : Nous analysons l’extrême droite, un phénomène persistant. Les mouvements politiques d’extrême droite ont connu des succès divers au cours des cent dernières années, avec des phases où ils s’enflamment, pour ensuite s’éteindre. Nous sommes aujourd’hui dans une de ces périodes où l’extrême droite semble connaître un nouveau succès. Cela ne se traduit pas nécessairement par une prise de pouvoir au gouvernement. Mais elle est encore capable d’attirer beaucoup d’électeurs.
Syndicats : Vous faites des parallèles entre la situation actuelle et le passé.
Vincent : En effet. L’une des thèses du livre est qu’il existe de nombreux parallèles, mais aussi des différences. D’où le titre. L’histoire ne se répète jamais de la même manière. Les formations d’extrême droite d’aujourd’hui prospèrent dans
un autre contexte. Dans l’entre-deux-guerres, il n’y avait pas de mondialisation telle que nous la connaissons aujourd’hui. Les phénomènes mondiaux — vagues de migration, réchauffement climatique, chocs économiques ou
pandémie — ont remis en question les relations, et la sécurité liée à « l’ancien monde ». Les identités collectives traditionnelles de l’après-guerre ont été pulvérisées au fil des ans. Des décennies de politique et d’idéologie néolibérales ont fait voler en éclats les ancrages historiques. Cela crée un bouleversement et un vide que les politiciens d’extrême droite exploitent, en remplaçant le social par l’identitaire. Ce qui conduit à l’exclusion.
Des décennies de politique et d’idéologie néolibérales ont fait voler en éclats les ancrages historiques.
Vincent Scheltiens
Vous allez droit au but dans cet ouvrage.
Bruno : Oui, car il est extrêmement important d’évaluer précisément l’ennemi. Les mouvements politiques d’extrême droite sont par nature l’ennemi des syndicats libres et indépendants. C’est encore plus vrai lorsque ces syndicats osent être combatifs. Nous n’inventons rien. L’extrême droite le dit elle-même explicitement. Les syndicats libres et militants sont une épine dans le pied de l’extrême droite, qui aspire essentiellement à une société corporatiste.
Pourtant, l’extrême droite aime prétendre qu’elle est « sociale ».
Bruno : C’est vrai. Le Vlaams Belang, par exemple, aime se présenter comme un parti social. Il utilise presque un langage syndical dans leur revendications : une pension minimale de 1.500 €, des salaires plus élevés ou une sécurité sociale plus forte. Ce sont nos exigences. Cependant, il y a des signes qui ne trompent pas. Tout d’abord, la réalité montre que les mandataires du VB — tout comme ceux de la N-VA d’ailleurs — votent invariablement contre le progrès social dans les différents parlements. Deuxièmement, l’extrême droite veut limiter le progrès social à son « propre peuple ». Nous appelons cela le nativisme social. Les prestations sociales ne seraient accessibles qu’à ceux qui
appartiennent au « bon » groupe identitaire. La question se pose alors de savoir à quoi le Vlaams Belang doit son succès électoral : à son discours raciste ou à la fine couche de vernis social qui le recouvre ?
Pour les élections de 2019, le parti a beaucoup misé sur ce second aspect.
Ce succès électoral n’est pas encore vrai en Wallonie, du moins pour l’instant ?
Vincent : Tous les partis d’extrême droite en Europe ont leurs propres caractéristiques, qui les font prospérer, dans les zones où ils se sont formés. Ce n’est pas encore le cas en Wallonie. Les formations d’extrême droite qui y sont apparues ressemblent souvent à de mauvaises copies de l’extrême droite française.
Les bouleversements sociaux y sont, par ailleurs, davantage capitalisés par la gauche. Les votes sont moins facilement détournés par la droite.
En Wallonie, on crée aussi plus d’incidents autour de l’extrême droite. Ce type de pensée n’y est pas normalisé. Supposons qu’un mouvement d’extrême droite veuille se réunir. Si les autorités locales ne s’y opposent pas, les citoyens et les mouvements sociaux viennent protester en grand nombre. Ils montrent ainsi que l’extrême droite n’est pas un mouvement politique comme les autres. Il est plus souvent étouffé dans l’œuf.
Il existe une autre différence, au niveau des médias…
Bruno : Oui. En Wallonie, il existe un cordon médiatique. Les partis ou les personnalités politiques qui stigmatisent ou discriminent des pans de la population ne sont pas invités à participer aux débats.
Comment convaincre les électeurs qu’ils ne doivent rien attendre de bon de l’extrême droite ?
Vincent : La gauche doit à nouveau proposer un projet de société attractif pour ces personnes. La réponse de la gauche n’est pas le statu quo d’aujourd’hui. Non, ils doivent offrir de nouvelles perspectives : par exemple, sur des réductions réelles et collectives du temps de travail afin que chacun puissent organiser sa vie différemment et mieux. Sur de meilleurs salaires, sur l’égalité. Les personnes qui placent leurs espoirs dans l’extrême droite doivent à nouveau être
charmées par un projet de société positif. Quarante ans de néolibéralisme ont porté un véritable coup de hache à l’esprit collectif et à la solidarité. Ce n’est plus la société, mais l’individu qui est devenu le bien suprême. Et pourtant, c’est à cela qu’il faut revenir, à ce qui unit la classe ouvrière, pour qu’elle ne soit pas poussée dans les bras de
l’extrême droite.
Quels seront les enjeux politiques dans les années à venir ?
Bruno : En tant que syndicaliste, c’est clair pour moi : il faut maintenir la solidarité au niveau le plus haut possible. De l’atelier local, jusqu’au monde entier. Au niveau national, il y a trois clés. Tout d’abord, il y a le droit du travail, car un employé seul est tout simplement faible par rapport à son patron. Deuxièmement, il y a la sécurité sociale, qui nous protège contre les catastrophes. Troisièmement, il y a la fiscalité, qui est capable de redistribution.
L’éclatement de ces trois forteresses est tout aussi dommageable qu’une percée de l’extrême droite. Elles doivent être protégées à tout prix. Le syndicat les a construites et continuera à être le premier gardien de ces instruments fédéraux de solidarité.
Fiche lecture
Extrême droite
L’histoire ne se répète pas… de la même manière
Voici un livre qui s’inscrit dans l’urgence que nous vivons. La situation politique et sociale inquiète et questionne. L’extrême droite est de retour… sans avoir jamais disparu. Par vagues successives, portée par les évolutions économiques et sociales, ces mouvements se sont adaptés aux époques et aux situations. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à la quatrième vague de l’après-guerre. Et son ampleur est sans précédent depuis les années 1930. Dans 15 pays européens, les partis d’extrême droite ont obtenu entre 10 et 20 % lors de récentes élections. Mais cette vague ne se limite pas aux résultats électoraux. L’influence de l’extrême droite les dépasse largement, bénéficiant aujourd’hui d’une banalisation de ses idées qui contaminent des pans entiers du spectre politique.
Publié en néerlandais aux ASP Editions en février 2021, ce livre analyse l’évolution de l’extrême droite à partir de la situation en Flandre, en la resituant dans l’histoire et dans l’Europe d’aujourd’hui. Face aux échéances électorales importantes que la Belgique connaîtra en 2024, Vincent Scheltiens (historien et assistant postdoctoral au département d’histoire de l’Université d’Anvers) et Bruno Verlaeckt (président de la Centrale Générale Anvers-Waasland et de la régionale FGTB interprofessionnelle d’Anvers) en appellent à l’indispensable implication de tous les acteurs de la société, et particulièrement celle des médias.
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- Éditions du Cerisier – Place Publique – 21 juin 2021 – 168 p. – 14,00 €
- Traduit du néerlandais par Olivier Starquit, également co-auteur d’un ouvrage sur l’extrême droite
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