Parmi ses activités, le CEPAG-Bruxelles produit tout au long de l’année des analyses à caractère politique et social. En décembre 2021, Jeanne Uwase s’est penchée sur l’incidence de la crise sanitaire sur les travailleurs d’origine étrangère. Ils subissent encore souvent des discriminations.
Malgré les instruments juridiques interdisant toute discrimination et inégalité de traitement, les personnes d’origine étrangère restent particulièrement vulnérables sur le marché du travail. Plusieurs études et enquêtes ont démontré que les discriminations rencontrées par l’ensemble des travailleurs et travailleuses d’origine étrangère sont imputables à cette origine.
L’ethnostratification est l’une des nombreuses conséquences des discriminations structurelles qu’on observe depuis des années sur le marché du travail en Belgique. En matière de travail, d’accès à l’emploi (de qualité), les personnes d’origine étrangère rencontrent plusieurs obstacles.
Des emplois plus précaires, à faibles revenus
Le marché du travail est divisé en plusieurs couches, plusieurs strates. L’origine ethnique des travailleurs et travailleuses va être un facteur déterminant dans la présence dans certains secteurs. Ainsi, on retrouve les personnes d’origine étrangère dans les soins de santé, le nettoyage, l’horeca, la sécurité, le commerce de détail, la construction, le transport et la logistique. Elles occupent le plus souvent des emplois plus précaires et avec une faible rémunération. Les Belges d’origine, à l’opposé, sont majoritairement présents dans de meilleurs emplois, dans le secteur public, de la finance et des assurances.
La discrimination perdure au-delà de l’accès au travail. Au niveau de la rémunération, même lorsque les personnes d’origine étrangère sont dans les secteurs ayant une meilleure rémunération, leurs niveaux de rémunérations restent bas. Dans le monitoring socio-économique de 2017, UNIA observait que dans le secteur public, les personnes d’origines étrangères ont pour la majorité des contrats ouvriers et employés. Les personnes d’origine belge des contrats de fonctionnaires.
Des discriminations structurelles
La discrimination structurelle transparait dans les règles et procédures. Et ce notamment à travers des règles de conduites et normes non-écrites. La surreprésentation des Belges d’origine dans le secteur public constitue un bon exemple. L’accès à la plupart des emplois du secteur public ne font plus l’objet de restrictions pour les personnes de nationalité ou d’origine étrangère, et pourtant les belges d’origine sont surreprésentés dans le secteur.
Autre obstacle : les équivalences de diplômes. Les diplômes étrangers décernés en Afrique subsaharienne ouvrent moins d’accès au travail que les diplômes étrangers d’autres régions. A cela s’ajoute la complexité des procédures pour les équivalences des diplômes pour les personnes d’origine étrangère.
La situation à Bruxelles
Le phénomène de l’ethnostratification et ses impacts sur le marché de l’emploi est particulièrement prégnant dans notre capitale, qui est l’une des plus diversifiées en termes d’origine et de nationalité.
Les personnes d’origine étrangère occupent le plus souvent des emplois précaires et moins bien rémunérés. Les données actuelles en Belgique indiquent la surreprésentation des personnes d’origine étrangère dans des secteurs souvent caractérisés par la précarité, la pénibilité et la faible rémunération. Ceci les met en position de vulnérabilité face aux crises économiques. Récemment, l’OCDE expliquait que dans les pays où les données sont disponibles, « les travailleurs issus de minorités ethniques ont été plus susceptibles de perdre leur emploi pendant la pandémie ».
Covid : les plus fragilisés sont les plus impactés
La crise sanitaire provoquée par la Covid-19 a mis en évidence les inégalités qui touchent l’ensemble du pays. Que ce soit dans les domaines de l’emploi, de l’accès aux soins de santé ou à un logement décent. Les plus fragilisés avant la crise sanitaire étaient les plus impactés par cette dernière. Selon l’OCDE, « la façon dont la pandémie est vécue est très variable selon l’âge, le sexe, l’origine ethnique, ainsi que l’emploi, le salaire et les compétences. La crise aggrave également les défis sociaux, économiques et environnementaux existants ».
Les travailleurs et travailleuses sans-papiers ont été doublement impactés par la pandémie. Travaillant dans les secteurs les plus affectés par la crise, ils se sont trop souvent retrouvés sans emploi et sans protection sociale. De plus, la Covid-19 a révélé les difficultés et disparités quant à l’accès aux soins des personnes sans-papiers. Elles font également face à des difficultés spécifiques en terme de logement et d’emploi qui les exposent davantage à la transmission du virus.
Les femmes, encore plus discriminées
Le phénomène d’ethnostratification est également genré. Les femmes d’origine étrangère se retrouvent de manière
disproportionnée dans les emplois à bas salaire. Et ce, malgré qu’elles jouissent de niveaux de formation en moyenne
plus élevés que les hommes. A titre d’exemple, dans les titres et services, 98,4 % des salariés bruxellois sont d’origine étrangère. C’est un secteur comptant 75,8% de femmes. Selon Actiris, les femmes d’origine extra-européenne subissent une triple vulnérabilité sur le marché de l’emploi. Elles rencontrent un plus grand risque d’être au chômage, sans revenu de remplacement, ou d’être confinées dans des professions faiblement rémunératrices, peu gratifiantes et exigeantes physiquement.
Les travailleuses sans-papiers sont encore plus durement touchées, en raison de la précarité dans laquelle elles sont contraintes de vivre. Être en séjour illégal entraîne une série de conséquences
dramatiques pour ces personnes, qui se retrouvent le plus souvent dans des situations d’exploitation au travail.
Le constat
Les discriminations en raison de l’origine ont progressé. Pour l’année 2020, UNIA a constaté que la pandémie a eu un impact sur les droits fondamentaux. Le Centre interfédéral pour l’égalité des chances a reçu près de 3.684 signalements de discriminations liées aux critères « raciaux », dont 483 liés à la Covid-19. Ces chiffres représentent bien souvent le sommet de l’iceberg en raison du sous-rapportage en matière de signalement pour les discriminations.
Sur le marché de l’emploi, les personnes sont jugées sur base de leur origine et non sur leurs compétences réelles. L’ethnostratification du marché du travail est une réalité à laquelle il faut apporter des réponses structurelles. Les conséquences de cette réalité sont désastreuses pour les travailleurs et travailleuses qui subissent des discriminations dans leur recherche d’emploi. Rappelons qu’obtenir un emploi n’indique pas la fin des discriminations. Celles-ci peuvent se manifester dans la rémunération, par rapport aux possibilités de promotion, etc. Les travailleurs et travailleuses devraient être jugés à l’aune de leurs réelles compétences et non leur origine.