Depuis seize ans, la FGTB Charleroi organise un atelier à l’occasion de la Journée internationale de la santé et de la sécurité au travail. On se trouve sur le site du Bois du Cazier, lieu hautement symbolique. Syndicalistes, médecins et mutualistes y dressent un état des lieux en Belgique, proposent des pistes de solutions et partagent des bonnes pratiques. Ce 28 avril, Jean-Pascal Labille, secrétaire général de Solidaris, était également invité pour présenter les résultats de leur dernière enquête sur la santé et le travail. Les constats ? Alarmants. Les obstacles ? Multiples. Explications.
Quelques chiffres
Plus d’un demi-million de malades de longue durée : ce chiffre, vous l’avez lu, entendu à plusieurs reprises dans les médias. La droite s’en empare pour justifier ses politiques antisociales, ou, osons le dire, sa chasse aux malades. « En réalité, ce chiffre n’est pas la preuve d’un problème de contrôle par les mutualités, ni d’une quelconque inclination des travailleurs à tricher. Il est le symptôme grave d’une société malade du travail », explique Jean-Pascal Labille. Derrière ce chiffre, des visages : des travailleurs et travailleuses et des inégalités criantes.
Au cours des douze derniers mois, 40 % des personnes interrogées par Solidaris déclarent que leur emploi a eu fréquemment un impact négatif sur leur santé : contraintes physiques importantes, expositions répétées à des risques psychologiques dans l’exercice du métier… Le taux d’invalidité chez les femmes est presque deux fois plus élevé que chez les hommes. Malgré cela, plus de 90 % des répondants considèrent le travail comme un élément important de leur vie. Un constat encore plus marqué parmi les personnes en incapacité de travail ou au chômage.
Les causes
Pour le secrétaire général de Solidaris « Si on ne guérit pas la société de ces maux, on ne guérira pas les malades que ces maux engendrent. » En bref, il faut arrêter de culpabiliser les malades, et s’attaquer aux sources du problème.

« Si on ne guérit pas la société de ces maux, on ne guérira pas les malades que ces maux engendrent. »
— Jean-Pascal Labille, secrétaire général de Solidaris
La mutualité distingue trois types de causes : épidémiologiques, sociétales et politiques. Parmi les causes épidémiologiques figurent les maladies qu’on surnomme « invisibles ». Et donc l’explosion du nombre de dépressions et de burn-out, ainsi que l’augmentation du stress au travail. Un chiffre alarmant : un tiers des malades de longue durée souffrent de troubles psychiques. Selon la FGTB, alors que le nombre total de maladies de longue durée a augmenté de 23 % entre 2018 et 2023, le nombre de travailleurs en burn-out a augmenté trois fois plus vite, à savoir de 70 %.
Comment expliquer cette situation ? Par les causes sociétales : la dégradation des conditions de travail, notamment avec la multiplication des contrats précaires. La perte de sens au travail qui en découle. Mais aussi l’augmentation du nombre de personnes plus âgées sur le marché du travail, conséquence directe du recul de l’âge de la pension et du vieillissement de la population active.
Enfin, il ne faut surtout pas négliger les causes politiques, les fameuses « réformes » : le durcissement du contrôle du chômage, la suppression des prépensions et la réforme des pensions, qui repousse l’âge de départ à la retraite.
Exemples concrets
« Aujourd’hui, l’Arizona veut supprimer totalement les prépensions », explique Thierry Bodson, président de la FGTB. « D’ici à 2030, il sera impossible d’arrêter de travailler avant 67 ans, sauf en cas d’invalidité. »
Il poursuit : « Il y a 195.000 déclarations d’accidents de travail par an. Pour les travailleurs de plus de 50 ans, les accidents de travail ne diminuent pas, contrairement aux travailleurs plus jeunes. Quand on augmente la longévité de travail les risques d’accidents augmentent eux aussi ! ».
A cela, Jean-Pascal Labille ajoute : « L’espérance de vie moyenne en bonne santé en Belgique vascille entre 63 et 64 ans. Et on veut faire travailler les gens jusque 67. Ca devient de l’esclavage ! »
La chasse aux malades de l’Arizona
Le gouvernement va mettre une pression importante sur les malades et les invalides afin qu’ils retournent au travail. « Il y a une réelle chasse aux malades de longue durée » explique le secrétaire général de la mutualité. « C’est de l’idéologie pure. Les mesures prises n’ont qu’un seul objectif : faire des économies ».
Dans l’accord de Pâques, on prétend responsabiliser les employeurs par rapport à la réintégration des malades de longue durée. La réalité est toute autre. A titre d’exemple, un employeur pourra désormais licencier un travailleur pour raison médicale après 6 mois, et non plus 9.
Par contre, du côté des malades, les sanctions sont alourdies… « Si vous tombez malade dans un trajet de réintégration, il n’y a plus moyen d’avoir un salaire garanti. Vous tombez directement sur la mutuelle », explique Thierry Bodson.
« Les sanctions n’apportent aucune amélioration de la situation des personnes en incapacité de travail. Pire, certaines mesures vont les décourager à se lancer dans des trajets de retour au travail. »
jean-pascal labille
Mieux vaut prévenir que guérir
On ne le répètera jamais assez : l’incapacité de longue durée n’est pas un choix. « On dégrade les conditions de travail et on blâme les travailleurs » s’indigne Jean-Pascal Labille. Pour améliorer la situation, il faut responsabiliser les employeurs et investir dans la prévention.
Quant au retour au travail, il ne peut se faire que sous trois conditions : il doit être volontaire – « car le travail est un droit, pas une obligation » ; il doit être médicalement possible ; et il doit conduire vers un « vrai travail », qui assure de bonnes conditions. Enfin, il est indispensable de reconnaître la pénibilité de certains métiers et de prévoir des dispositifs spécifiques pour ces professions.
Le rôle des délégations syndicales
Catherine Mathy, permanente à la Centrale Générale Charleroi pour le secteur des titres-services et du nettoyage dresse un constat alarmant de la situation dans ces secteurs. « Il y a beaucoup de malades. Le taux d’absentéisme est important. Il atteint les 20,3% pour les titres-services en 2023. » Pour elle, le diagnostic est sans appel : « Le métier produit des malades. Après 4 ans de travail, on est certains d’être 4 fois plus malades que dans d’autres secteurs ».
Et pourtant, les dispositifs de prévention sont largement défaillants. Peu de délégués ont l’occasion de rencontrer les médecins du travail dans le cadre de leur mandat au sein du CPPT (Comité pour la prévention et la protection au travail).« Les travailleuses sont discréditées : on les fait passer pour des fainéantes, des menteuses. Les employeurs ne font pas de prévention. Il faut analyser les risques, faire intervenir le médecin du travail ».
Des initiatives syndicales voient néanmoins le jour pour améliorer la santé et la sécurité dans les secteurs. À titre d’exemple, la lutte pour la reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle. Autre initiative : les aide-ménagères ont conçu un questionnaire, rencontré leurs collègues sur le terrain, et constitué des dossiers médicaux. L’objectif : porter collectivement ces dossiers devant FEDRIS (Agence fédérale des risques professionnels) pour obtenir une analyse collective et une reconnaissance automatique des pathologies liées à leurs conditions de travail. « Il y a une prise de conscience des travailleuses. Il est important de créer des liens, de faire du collectif », insiste la permanente syndicale.
Et elle conclut : « Aujourd’hui, les solutions ne viendront ni du gouvernement, ni des employeurs. Elles viendront du CPPT qui s’occupe du bien-être au travail. Elles viendront des travailleurs. »
Aujourd’hui, les solutions ne viendront ni du gouvernement, ni des employeurs. Elles viendront du CPPT qui s’occupe du bien-être au travail. Elles viendront des travailleurs.
Catherine mathy, permanente de la Centrale Générale Charleroi