Le non-marchand revendique « Du temps, pour vivre » (+ podcast)

Le non-marchand revendique « Du temps, pour vivre » (+ podcast)

Nous les avons tous côtoyés, plusieurs fois, au long de notre vie. Ils – souvent elles – accueillent les bébés, prennent soin des malades, éduquent les enfants, accompagnent les jeunes, divertissent les citoyens, veillent sur les aînés… Ce sont les travailleurs et travailleuses du secteur non-marchand et des services publics.

Ce jeudi 7 novembre, ils sillonnaient les rues de la capitale pour revendiquer du temps. Du temps pour effectuer leur travail dans de bonnes conditions, du personnel supplémentaire et une revalorisation du métier. Syndicats Magazine est allé à leur rencontre.

Mauvaises conditions = pénurie

Manque de personnel. Pression qui retombe sur les travailleurs et travailleuses présents qui doivent faire toujours plus, en moins de temps. Burn-outs, problèmes de santé. Mécontentement des bénéficiaires. C’est la réalité du secteur non-marchand aujourd’hui.

« 9 minutes pour une toilette. Vous trouvez ça normal? » peut-on lire sur la pancarte d’une travailleuse. « On nous rajoute tout le temps du travail administratif. Nous avons de moins en moins de temps pour les résidents. » déplore Tiphany, deléguée CGSP dans une maison de repos à Dison. Sara, déléguée SETCa dans l’accueil de la petite enfance, rencontre le même souci dans la pouponnière où elle travaille : « Avant on était à 6-7 classes par école, maintenant on est à 1 ou 2. Une puéricultrice s’occupait de maximum 7 enfants, aujourd’hui elle se retrouve parfois avec 10 enfants. Moi je travaille notamment avec des enfants placés. On ne peut pas leur consacrer le temps qu’on aimerait. »



« Ces conditions de travail existent depuis de nombreuses années, mais la situation s’est détériorée un peu plus suite à la crise Covid qui a obligé les travailleurs et travailleuses à œuvrer dans des conditions jamais vécues. »

Olivier Nyssen

Pour Patrick Maréchal, délégué CGSP au CHR de Huy, les conditions de travail se détériorent à cause du manque de budgets. « On perd de plus en plus de collègues parce que les pensionnés ne sont plus remplacés, les charges de travail deviennent très lourdes, il y a de plus en plus de malades de moyenne ou de longue durée. Tout cela a une répercussion sur la motivation des travailleurs. » Et tire la sonnette d’alarme : « Les services publics sont à bout de souffle. »

Olivier Nyssen, Secrétaire fédéral CGSP-Admin, explique : « Ces conditions de travail existent depuis de nombreuses années, mais la situation s’est détériorée un peu plus suite à la crise Covid qui a obligé les travailleurs et travailleuses à œuvrer dans des conditions jamais vécues. »

Le sens du travail

« Ce que l’on demande au gouvernement, c’est qu’il prenne conscience d’un élément primordial dans notre secteur : le rapport à l’humain. On veut des chiffres, il faut que ça tourne, mais ce n’est pas ça notre travail. » déplore Sara.

Pour Patrick, c’est clair : « Une infirmière doit être au chevet du patient. Là elle passe plus de temps à faire de l’administratif. C’est vraiment une déshumanisation du métier. Il y a quelques années, on nous a parlé de changer le mot ‘patientèle’ par ‘clientèle’, ce qui nous a choqués. Ce ne sont pas des clients, ce sont des patients. On est pas là pour faire du profit, on est là pour l’aide à la population. »


C’est toute la question du sens au travail. Selon Nathalie Lionnet, secrétaire fédérale SETCa pour le Non-marchand, « les gens ont besoin de se sentir utiles. Il faut que quand ils se lèvent le matin, ils sachent pour quoi ils sont là, à quoi ils participent. Il faut qu’ils arrêtent (NDLR les politiciens) de penser qu’on est juste des consommateurs. On a besoin d’assurer nos besoins fondamentaux, certes, mais on a aussi besoin de vivre. »

« Avoir du temps pour vivre. Et encore plus dans les secteurs qui promeuvent la santé, l’épanouissement. C’est d’une violence sans nom quand toi-même tu ne peux pas t’appliquer ce que tu sais
être légitime pour l’ensemble des citoyens. »

NATHALIE LIONNET

Améliorer l’attractivité, combattre les inégalités

Conséquence des mauvaises conditions de travail ? Le non-marchand n’attire plus. Il y a de moins en moins de jeunes qui s’intéressent à ces métiers. Nathalie Lionnet nous donne l’exemple d’une école d’infirmerie à Liège qui auparavant accueillait 200 étudiants en première année et qui cette année ne comptabilise que… 40 inscriptions ! Le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) avance un autre chiffre alarmant : ces dernières années, 60% des infirmières formées ont jeté l’éponge.

Il faut donc travailler sur l’attractivité du travail. Comment ? En améliorant les conditions. De quelle manière ? En travaillant sur la notion du temps. « Du temps de prendre soin, d’accompagner, d’enseigner. On veut respecter le temps du patient, du résident, de l’usager, de l’étudiant. » explique la secrétaire fédérale du SETCa.

Ce temps, il est aussi nécessaire pour pouvoir concilier vie professionnelle et vie privée et par la même, lutter contre les inégalités femmes/hommes. Car dans ces secteurs majoritairement féminins, beaucoup de travailleuses, notamment mères de familles, sont obligées de travailler à temps partiel. Sinon elles ne s’en sortent pas. Et qui dit temps partiel, dit salaire moins élevé, fins de mois plus compliquées. Pour ce faire, la Centrale des employés avance une proposition : la réduction collective du travail avec embauche compensatoire.


Inquiétudes

Les travailleurs et travailleuses sont inquiets quand à leur situation. Les accords de gouvernement wallon ainsi que les annonces faites pour la potentielle majorité fédérale ne présagent rien de bon. C’est pour ça qu’ils étaient dans la rue, à plusieurs dizaines de milliers, ce 7 novembre dernier. « On nous parle de revalorisation et puis on souhaite supprimer l’index », s’indigne Sara. Tiphany se fait aussi du souci : « Nous manifestons pour garder un salaire décent. On effectue un travail lourd et on doit avoir une rémunération en fonction. Ici, ils (NDLR De Wever et Bouchez) veulent diminuer les compensations pour les horaires de nuit. Je ne trouve pas ça normal. »

Patrick, lui, parle de démantèlement des services publics vu les restrictions qui vont être mises en place par le futur gouvernement.

« Aujourd’hui nous sommes là pour revendiquer la revalorisation des aides aux personnes handicapés, des soins de santé, de la police, des pompiers… Car si l’on continue comme ça, bientôt il n’y aura plus de services publics. »

— Patrick Maréchal, délégué CGSP au CHR de Huy

Tous demandent une revalorisation de leurs métiers. Des métiers qui en réalité sont formidables, au service des citoyens. Des métiers indispensables à toutes et tous, à chaque étape de nos vies.

Un investissement, pas un coût

L’avenir du non-marchand dépend des décideurs, puisque c’est un secteur qui relève entièrement de choix politiques. « Tout ce qui permet aux gens de s’émanciper, de réfléchir, de confronter les idées est attaqué. Parfois je me dis que c’est parce que le capitalisme sent qu’on est au bout qu’il est agressif. Pour essayer d’effacer tout ce qui le remet en question. » cogite Nathalie Lionnet.

Pour les représentants syndicaux, il n’y a pas d’alternative : la tendance doit être fondamentalement inversée. Selon Olivier Nyssen, « Il est crucial de reconnaitre la pénibilité au travail de ce secteur et de dégager des moyens pour engager du personnel supplémentaire afin d’alléger la tâche du personnel actuellement en place. Mais il faut aussi améliorer les conditions de travail et les rémunérations pour rendre les services plus attractifs pour les candidats travailleurs. De meilleures conditions de travail apportent de la sérénité et de l’épanouissement au travail. Ce qui améliore le service à la population. »

Quel que soit le coût économique qu’aura le soutien aux secteurs non marchands et aux secteurs publics, il faudra donc que les différents gouvernements apportent le financement nécessaire. « Qu’ils prennent conscience de l’importance de ces services essentiels à la population. » ajoute Olivier Nyssen. Car ces secteurs ne représentent en réalité pas un coût, mais un investissement.

Découvrez aussi l’interview de Nathalie Lionnet au micro de Yannick Bovy, dans Opinions FGTB.

Ioanna Gimnopoulou
Journaliste, Syndicats Magazine | Plus de publications

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