Le 1er février marquait le troisième anniversaire du coup d’État au Myanmar. Depuis, la répression y a fait plus de 4 500 morts et 30 000 personnes emprisonnées, dont des représentants des travailleurs. Les droits syndicaux y sont violemment bafoués. Mais les travailleurs et travailleuses résistent ; de près et de loin. La syndicaliste Khaing Zar Aung fait partie de cette résistance.
Elle a commencé à travailler à l’âge de 16 ans dans l’industrie textile. Et a contribué, au fil des ans, à la consolidation du mouvement syndical et à l’amélioration des conditions de travail au Myanmar.
Khaing Zar Aung est actuellement présidente de la Fédération des Travailleurs de l’Industrie du Myanmar (IWFM) et membre du Comité exécutif de la Confédération des Syndicats du Myanmar (CTUM). Pour son combat courageux, elle a reçu, ce 12 juin, le Prix international Arthur Svensson pour les droits syndicaux. Interview.
Coups, intimidations, assassinats
En février 2021 survient le coup d’Etat perpétré par les militaires. Depuis, des milliers de personnes ont été assassinées, emprisonnées, ont dû fuir le pays. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Quand le coup d’État a éclaté, beaucoup d’entreprises ont dégradé leurs conditions de travail, en diminuant par exemple les salaires. D’autres usines ont fermé leurs portes, sans payer de compensation. Certains de nos membres ont porté plainte à l’IWFM. Cette dernière, avec l’aide d’IndustriAll, est entrée en contact avec les différentes multinationales du secteur textile pour demander des compensations pour les travailleurs, des contrats à durée indéterminée, d’améliorer les conditions de travail dans les usines… Suite à ces plaintes, les travailleurs concernés ont été menacés, agressés…
Il n’est pas rare que nos membres soient menacés, notamment par leurs employeurs. Leur vie est en danger. S’ils s’expriment en faveur des travailleurs, les patrons les font arrêter par les militaires. Certains de nos membres ont été roués de coups lors de manifestations. D’autres ont été kidnappés, assassinés alors qu’ils se rendaient à des actions, ou brulés vifs lorsque les militaires ont mis le feu aux villages…
Aujourd’hui, nous ne pouvons plus opérer en tant que syndicat. Les syndicalistes sont persécutés ; ils sont accusés de haute trahison contre l’Etat. Il y d’ailleurs un mandat d’arrêt à mon encontre. Plusieurs camarades se cachent. Leurs passeports ne sont plus valables.
Quelles sont les conditions de travail au Myanmar actuellement ?
Tout ce que nous avons arraché comme victoires pour le monde du travail de 2013 à 2021 est tombé en poussières. Aujourd’hui, les travailleurs gagnent à nouveau 1,5 dollar par jour. Il y a du travail forcé, plus de congés payés. Les conditions de sécurité sont déplorables. La situation se dégrade de jour en jour.
Tous les jours, des femmes sont harcelées. Les superviseurs leur fixent des objectifs de production irréalisables. Ils les insultent, les menacent de les congédier… Elles se sentent humiliées, impuissantes…
En ce qui concerne les jeunes, le travail des enfants a considérablement augmenté. Des enfants de 14-15 ans travaillent à nouveau… Les apprentis dans les usines sont exploités. Ils reçoivent par exemple 75% du salaire minimum. Ils peuvent être congédiés à n’importe quel moment. Enfin, il y a beaucoup de jeunes travailleurs qui sont recrutés par l’armée. Plusieurs d’entre eux, dont mon frère et mes neveux, ont quitté le pays pour y échapper.
Comment s’organise la résistance ? Nombreux sont les articles qui parlent de la résilience du peuple birman…
Depuis le coup d’Etat, il y a eu environ 20 millions de personnes dans la rue. Les militaires ont réprimé les manifestations de manière très brutale, ont violé des femmes, pillé les propriétés… Les opposants au régime ont dû quitter leurs maisons, le pays, pour se réfugier de l’autre côté des frontières.
Malgré cela, dans de nombreux villages, les gens forment des comités de grève qui continuent à organiser des arrêts de travail et des manifestations. Le 1er février 2024, à l’occasion du troisième anniversaire du coup, une grève silencieuse a été organisée. Durant une période déterminée de plusieurs heures, on n’ouvre pas les magasins, personne ne va travailler. C’est le silence dans les villes, à travers le pays.
Dans le secteur textile, ce sont les femmes qui organisent les travailleurs. Elles chapeautent les manifestations. C’est pourquoi beaucoup de syndicalistes, jeunes mamans, se cachent actuellement. Il y a aussi les grèves « flash-mob ». Elles arrivent avec leurs pancartes, crient des slogans pendant quelques minutes et s’enfuient en courant pour ne pas être arrêtées.
Tu as commencé à travailler à l’âge de 16 ans dans l’industrie textile. Quel a été ton parcours ?
En effet, j’ai commencé à travailler à l’âge de 16 ans. A ce moment-là, le Myanmar était sous le précédente dictature militaire et il n’y avait pas de syndicats. Je devais travailler entre 13 et 15 heures par jour. Nous travaillions 7 jours sur 7, pour un salaire de misère. Sans jours de repos. Nous payions des frais pour la sécurité sociale, mais nous n’en tirions aucun bénéfice. Bref, les conditions de travail dans l’industrie textile au début des années 2000 étaient désastreuses.
J’y suis restée pendant 6 ans, témoin d’un système qui ne fonctionnait pas bien. Quand j’étais malade, je ne pouvais pas aller me faire soigner. Je ne comprenais pas pourquoi nous vivions ainsi. Ce n’était pas juste. J’ai donc décidé de migrer en Thaïlande en 2006 pour travailler dans le même secteur. Là-bas, j’ai participé à une formation syndicale. Le formateur nous a expliqué que c’est les autorités militaires qui avaient détruit les systèmes de santé, d’éducation et économique birmans. J’ai donc compris pourquoi nous étions tellement pauvres. Après cette rencontre, j’ai décidé de faire quelque chose pour contribuer à changer ce système. Je me suis impliquée dans la formation syndicale des travailleurs migrants et dans le leadership féminin.
Je suis retournée au Myanmar en novembre 2012, lorsque nous avions un gouvernement semi-démocratique. Nous avions pu organiser les travailleurs, créer des syndicats. De 2013 à 2021, nous avons remporté de belles victoires. Par exemple, l’instauration du premier salaire minimum. Nous avons aussi instauré un jour de repos par semaine et des jours de congés payés. Et nous avons lutté pour éradiquer le harcèlement sexuel envers les femmes sur le lieu de travail, qui était très présent.
Lorsque le coup d’État a éclaté tu étais en Allemagne. Comment continues-tu ton combat à distance ?
Je plaide au niveau européen. Je représente notamment une alliance de syndicats, ONG, organisations de femmes, de jeunes, comités de grèves… 183 organisations en tout qui œuvrent sur le terrain pour défendre les droits humains et demandent des sanctions économiques. A titre d’exemple, on demande aux gouvernements de retirer le Myanmar du régime «Tout sauf les armes» (TSA) de l’UE. Celui-ci supprime les taxes pour toutes les importations de biens (à l’exception des armes et des munitions) entrant dans l’UE en provenance des pays les moins avancés.
Ensuite, nous demandons aux multinationales et grandes enseignes de l’industrie de la mode telles que H&M, Sion qui est belge, Inditex, Only, Zara, et Adidas de quitter le Myanmar parce qu’en continuant leurs activités sur place, elles contribuent aux violations des droits humains et des travailleurs. Un exemple concret : des travailleurs d’Inditex ont été arrêtés par les militaires parce qu’ils ont essayé de négocier avec les employeurs des augmentations salariales. Inditex a alors affirmé qu’elle allait quitter le Myanmar. Plusieurs entreprises ont fait de même. Mais cela reste des paroles dans le vent.
Début mai, nous avons alors décidé de commencer à demander le boycott de ses compagnies. Elles prétendent respecter le devoir de vigilance, mais ceci est impossible sous la dictature militaire. Leurs fournisseurs payent des taxes et des frais pour la protection des usines aux militaires. Ces marques sont complices du régime et des violations des droits humains qu’il commet. Elles doivent quitter le territoire immédiatement.
« Les fournisseurs des marques payent des taxes aux militaires. Ces marques sont complices du régime et des violations des droits humains qu’il commet. Elles doivent quitter le territoire immédiatement. »
— Khaing Zar Aung, Syndicaliste birmane
La FGTB solidaire des travailleurs et travailleuses du Myanmar À plusieurs reprises, le front commun syndical belge a interpellé les décideurs politiques sur la situation inquiétante au Myanmar. L’objectif : refaire le point sur les mesures entreprises par les autorités belges pour aider au retour de la démocratie et au respect des droits fondamentaux. Selon le FGTB, le gouvernement belge devait notamment réaffirmer son opposition aux autorités militaires, exiger le respect des droits humains et interpeller des entreprises présentes de se désinvestir du pays. Pierre-Yves Dermagne, Vice-Premier ministre et ministre de l’Economie et du Travail et Hadja Lahbib, Ministre des Affaires étrangères ont répondu aux courriers d’interpellations. Selon eux, il est nécessaire de continuer à exercer une pression internationale à travers des sanctions économiques de l’UE, des interpellations lors de la Conférence de l’OIT, un soutien à une organisation de femmes qui œuvrent pour la paix… |
Ce 12 juin, tu as reçu le prix international pour les droits syndicaux. Qu’est-ce que cela représente pour toi ?
Je suis contente parce que ce prix met l’accent sur les mouvements pour la démocratie et les droits humains au Myanmar. Cela leur a permis d’attirer l’attention de la communauté internationale. Mais parallèlement je suis triste. J’aurai été très fière et honorée de recevoir ce prix en présence de nos membres.