Le travail des étudiants est devenu structurel

Le travail des étudiants est devenu structurel

Les jobs étudiants sont souvent présentés comme un moyen de gagner de l’argent de poche et de s’occuper pendant l’été. Si cette réalité était la norme il y a encore 20 ans, les différentes réformes flexibilisant le travail des étudiants ont profondément transformé la réalité dans les entreprises.

En janvier 2024, Vincent van Quickenborne et Tania De Jonge (Open Vld) ont déposé une proposition de loi visant à supprimer les limitations applicables au travail des jobistes. Un texte qui s’inscrit dans la continuité des différentes réformes de flexibilisation des contrats étudiants.

Qu’est-ce que ça implique? Initialement, les étudiant et étudiantes pouvaient travailler sous cotisations réduites uniquement durant les trois mois d’été, et pendant 23 jours. Depuis 2005, différentes réformes vont successivement élargir et flexibiliser le temps de travail autorisé sous ce statut. Aujourd’hui, un jobiste peut travailler 600 heures, à répartir librement le long de l’année.

Le texte de Van Quickenborne et De Jonge, qui visait à ce que les jobistes puissent travailler “sans restriction” n’a fort heureusement pas été adopté. Mais il témoigne d’une évolution inquiétante du recours au travail étudiant. Une analyse réalisée par les Jeunes FGTB a évalué cette évolution des effectifs de jobistes, son impact dans les secteurs d’activité et le manque à gagner pour la sécurité sociale.   

Combien?

Le nombre de jobistes augmente chaque année, sauf en période de crise. Les seules baisses d’effectifs correspondent à la crise financière des subprimes en 2009 et celle de la Covid en 2020. En l’espace de 10 ans, les jeunes ont été 41% de plus à travailler.

Mais l’évolution du nombre d’étudiants et étudiantes qui travaillant tout long de l’année est encore plus inquiétante. En 2022, 166.917 jeunes ont travaillé les 4 trimestres, contre 109.461 qui travaillaient uniquement en été. Cette situation témoigne de la précarisation croissante d’une partie de cette population. Pour de nombreux jeunes, les revenus du travail ne sont plus un “bonus”, mais une manière de subvenir à leurs besoins, voire d’aider leur famille.

« Tout devient trop cher. Le mois dernier, j’ai dû aider mes parents à payer le mazout pour se chauffer. J’aimais bien faire les magasins quand j’étais plus jeune, mais aujourd’hui c’est devenu une angoisse“, nous dit Lara, étudiante dans une haute école

Le nombre d’étudiants travaillant plus de 475 heures/an a explosé entre 2022 et 2023. Alors que 49.420 jobistes dépassaient ce plafond de 2022, ce nombre montait à 71.447 en 2023. Plus inquiétant encore: 9440 jeunes ont travaillé plus de 600 heures en 2023 (Source ONSS). À titre de comparaison, ils n’étaient que 7.374 à dépasser le plafond autorisé en 2016.

Quels secteurs?

En 2022, le commerce, l’Horeca et le travail intérimaire sont les principales branches d’activité qui recourent au travail étudiant. D’autres secteurs sont concernés, comme les soins de santé, l’enseignement et les activités récréatives.

Dans l’Horeca, l’occupation d’étudiants a presque triplé en 10 ans, passant de 71.049 en 2012 à 205.549 en 2022. Mais ces chiffres pourraient être encore plus élevés. Car comme en témoigne Yvan, le recours au travail non-déclaré est monnaie courante dans le secteur : « Quand j’étais serveur,je n’ai pas signé de contrat. Quand j’étais traiteur, non plus. Mais quand j’ai fait la plonge, là j’ai enfin pu signer un contrat. »

Le commerce compte parmi les plus gros employeurs de jobistes. En 2022, 12 employeurs ont occupé à eux seuls 51.574 étudiants et étudiantes. Si les données publiées par l’ONSS ne permettent pas d’identifier quelles sont ces entreprises, on peut supposer qu’il s’agit d’enseignes de la grande distribution (Colruyt, Delhaize, Carrefour…).

Qu’indique cette évolution? Que les jobistes occupent des postes qui par le passé étaient ceux d’autres salarié·es.

Travailler empêche d’étudier

Par ailleurs, l’augmentation du recours au travail étudiant n’est pas sans conséquence pour la réussite scolaire ou universitaire. Selon une enquête de l’Observatoire de la Vie Étudiante[1], 79,8% des étudiant·es qui ont des fins de mois très difficiles ratent des cours à cause de leur activité salariée.

79,8% des étudiant·es qui ont des fins de mois très difficiles ratent des cours à cause de leur activité salariée

Observatoire de la vie étudiante

« Comme je travaille le soir, je ne dois pas manquer de cours pour aller travailler. Mais je termine tard le soir et je manque souvent les cours avant 10h. Quand tu finis à 4h du matin, ça devient trop difficile d’aller au premier cours », poursuit Yvan, étudiant à l’ULB.

Un manque d’ambition politique

Le développement du travail des étudiant·es au cours de la période académique devrait alerter les responsables politiques. Le non-accès à la sécurité sociale et le manque d’ambition des politiques sociales en est la principale raison. Même si les étudiant·es peuvent théoriquement bénéficier du CPAS, ces institutions les poussent sur le marché du travail.

Pourtant, l’argent pour mettre en place des politiques sociales existe. Le manque à gagner pour la sécurité sociale que représentent les contrats étudiants s’élevait à 412.000.000€ en 2022, alors que le montant des allocations d’étude en Fédération Wallonie-Bruxelles n’était que de 77.334.000€ la même année.

Au fil des années, le travail des étudiant·es est devenu un enjeu syndical majeur. La flexibilisation de ces contrats renforce la pression qui est mise sur l’ensemble des travailleurs et des travailleuses. Pour les étudiant·es, l’enjeu est d’avoir le droit d’étudier à temps plein et de bénéficier de temps libre. Si la tendance ne s’inverse pas, occuper un temps partiel en parallèle de ses études deviendra la norme.


Lire plus: [1] PAUME, J., & CAUWE, J. (2021). ENQUÊTE SUR LES RESSOURCES ÉCONOMIQUES DES ÉTUDIANTS·ES. Par Observatoire de la Vie Étudiante.ressources

Jeunes FGTB

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