L’organisation syndicale et la formalisation des secteurs informels pourraient signifier une avancée majeure dans la direction du travail décent pour le sud dans sa globalité.
Une contribution de l’IFSI
« L’économie informelle est définie comme toute activité économique réalisée par des travailleurs ou des unités économiques qui n’est pas couverte ou est insuffisamment couverte – selon la loi ou en pratique – par des dispositions officielles », nous dit l’OIT (Organisation internationale du travail).
Sur le continent africain, les chiffres relatifs à l’économie informelle, et l’emploi qu’elle représente, sont impressionnants. Selon l’OIT, en Afrique sub-saharienne, ce chiffre est de 85% en moyenne. Dans certains pays, comme en République Démocratique du Congo, il dépasse même les 90%.
Une grande partie des travailleurs et travailleuses informels vivent en-dessous du seuil – multidimensionnel – de pauvreté (faible revenu, alimentation insuffisante, faible accès aux soins de santé et à l’enseignement, mauvais logement…). On peut ici à peine parler de travail décent : peu d’emplois de qualité, droits du travail qui peuvent à peine être forcés, mauvaise protection sociale et dialogue social faible, voire inexistant.
L’économie informelle niée
Pendant longtemps, l’économie informelle a été niée par les décideurs politiques. Parfois même, elle a été considérée comme une menace pour l’économie formelle. Parfois aussi par les syndicats. Étonnamment, c’est la pandémie de la Covid-19 qui a rendu le secteur informel visible et qui a montré combien elle était indispensable, mais aussi combien elle était étroitement liée à l’économie formelle.
Les objectifs de développement durable (ODD) et plus spécifiquement l’objectif n° 8 sur le Travail décent, visent notamment à favoriser des mesures politiques orientées vers le développement. Des mesures qui soutiennent des activités productives, ainsi que la création d’emplois décents, l’entrepreneuriat, la créativité et l’innovation. Ces objectifs visent par ailleurs à encourager la formalisation et la croissance des micro, petites et moyennes entreprises, également par l’accès aux services financiers.
L’objectif 8.8. met l’accent sur la protection des droits du travail. Le but est ici de promouvoir un environnement de travail sûr et sain pour tous les travailleurs, y compris pour les travailleurs issus de la migration et plus particulièrement les femmes, qui connaissent souvent des situations de travail précaires.
Rien d’étonnant dès lors à ce qu’aussi bien les autorités que les syndicats cherchent des façons de formaliser le travail informel d’une part et de renforcer le travail décent d’autre part.
Collaboration syndicale internationale
Le programme pour la coopération au développement de l’IFSI (Institut de coopération syndicale internationale de la FGTB) permet, via des échanges avec nos partenaires, d’apprendre plus sur les bonnes pratiques. Nos partenaires du Rwanda (CESTRAR et STECOMA) et en République démocratique du Congo (COSSEP, CDT en UNTC) ont été invités avec l’IFSI à passer une semaine chez nos partenaires au Bénin (CSA-Bénin et UNSTB). Le Bénin dispose en effet d’une procédure pour formaliser le travail informel. De plus, les deux confédérations ont acquis une certaine expérience dans l’organisation des travailleurs et des travailleuses informels.
OHADA
Sur le continent africain, à l’instar de l’UE, les initiatives pour faciliter le commerce sont nombreuses. On connait par exemple l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires, créée en 1993 et qui regroupe 17 pays d’Afrique de l’ouest. Son objectif est d’harmoniser le droit commercial et d’uniformiser une certaine législation.
Consciente de l’impact de l’économie informelle sur la création de richesse nationale de ses Etats membres, cette organisation a essayé de contribuer à une solution pour amener les acteurs informels vers l’économie formelle. Pour ce faire, un nouveau statut a été créé: le statut d’ « entrepenant » (= chaque entrepreneur individuel, toute personne physique qui sur simple déclaration, déclare une activité professionnelle, commerciale, civile, artisanale ou agricole). Le Bénin s’est inspiré de ces accords au sein de l’OHADA pour formaliser le travail informel. Ce pays était le premier au sein de l’OHADA à avoir concrétisé ce nouveau statut.
98,5%
En 1997, le Bénin avait déjà créé le Centre pour la Formalisation des Entreprises. Selon les chiffres généraux relatifs aux entreprises de 2008, au Bénin, 98,5% des entreprises ou activités se situaient dans l’économie informelle, contre 1,5% seulement dans l’économie formelle. La part des travailleurs dans l’économie informelle était de 90%, représentant entre 60 et 70% du PNB. Ces chiffres ont été une révélation pour les pouvoirs publics du Bénin et à partir de ce moment, la pression exercée par les syndicats a pu donner des résultats. Dès 2009, le Guichet unique pour la formalisation des entreprises a vu le jour. En 2014, les pouvoirs publics du Bénin ont créé l’Agence pour la promotion des Investissements et des Exportations.
En résumé, le système de formalisation du travail informel du Bénin revient à accroître l’accessibilité aussi bien financière qu’administrative, par la création d’un guichet unique (en ligne). Les travailleurs de l’économie informelle peuvent ainsi enregistrer leurs activités. Ces derniers ne paient d’impôts sur leur revenu qu’à l’issue de deux années de travail.
Soutien des syndicats
Les syndicats soutiennent largement la formalisation de l’emploi. Ils soutiennent toutefois aussi les travailleurs dans ce processus. D’une part, ils proposent des formations sur une gestion simplifiée des entreprises pour améliorer la stabilité des revenus, y compris pour les travailleurs qui restent occupés dans l’économie informelle. D’autre part, ils apportent un soutien administratif pratique aux travailleurs qui très souvent, sont illettrés.
Au Bénin, les syndicats ont par ailleurs développé une forte tradition autour de l’organisation des travailleurs des secteurs informels en syndicats sectoriels. Ces derniers sont également membres de confédérations (ils siègent même dans les organes décisionnels) et de ‘Global Unions’. Les pouvoirs publics au niveau local et régional sont généralement leur interlocuteur dans le dialogue social. Grâce à une bonne organisation, ils ont souvent un impact sur le travail et la vie des travailleurs et des travailleuses de l’économie informelle.
Travail formel ≠ travail décent
Le travail formel en soi n’est pas automatiquement synonyme de travail décent. Les syndicats jouent un rôle crucial et doivent continuer à jouer leur rôle de partenaire social. Il est un fait que revendiquer des droits du travail peut plus facilement se faire dans un cadre formel.
Conclusion
Deux constats importants : l’économie informelle est nettement plus organisée que ce que l’on pourrait penser et ne signifie pas anarchie ou encore chaos. De plus, elle est indissociable de l’économie formelle. On pourrait même dire que l’économie formelle ne pourrait pas fonctionner sans l’économie informelle.
Il est néanmoins important de formaliser l’économie informelle pour un meilleur accès aux droits du travail. Les syndicats peuvent jouer un rôle de facilitateur à cet égard et renforcer le contre-pouvoir.