Une critique de Léonard Pollet
« L’Acier a coulé dans nos veines », film de Thierry Michel et de Christine Pireaux actuellement dans les salles, est bien plus qu’un documentaire sur la fermeture des usines sidérurgiques en Wallonie. C’est une œuvre poignante qui met en avant à la fois la beauté des luttes sociales et la dignité des ouvriers, tout en livrant une réflexion sur les contradictions du capitalisme. À travers des images saisissantes et des témoignages émouvants, ce film explore le combat des travailleurs pour sauver leur industrie, en mettant en lumière leur fierté, malgré l’exploitation dont ils ont fait l’objet.

Le film s’ouvre sur la grandeur des hauts fourneaux, ces géants de métal et de feu, qui transforment la matière brute en acier. Ce métal noble qui a forgé l’économie industrielle de la région. La beauté de ces scènes est envoûtante. Les images du métal fondu, des flammes rugissantes, des machines en mouvement dépeignent un spectacle à la fois fascinant et inquiétant, une symphonie visuelle qui sublime la matière brute tout en soulignant les enjeux humains et sociaux. Thierry Michel capte ces paysages industriels, créant une tension entre la beauté hypnotique du processus de fabrication et la dureté du travail des ouvriers. Le film nous plonge dans l’univers impitoyable des hauts fourneaux, où chaque geste, chaque effort est à la fois une victoire de l’homme sur la matière et un témoignage de son sacrifice.
Le revers de la médaille
Mais derrière cette magnificence se cache une réalité bien plus sombre. Les ouvriers, qu’ils soient hommes ou femmes, n’ont jamais été maîtres du produit qu’ils fabriquaient. Ils ont transformé le métal en un matériau essentiel à l’économie, mais à quel prix ? Thierry Michel nous montre avec force comment cette fierté de travailler la matière était en réalité alimentée par une exploitation incessante. Les usines, malgré leur beauté industrielle, étaient aussi des lieux de souffrance, où les corps s’épuisaient sous le poids du travail acharné et des conditions dangereuses. Le film montre la brutalité de l’industrie, mais il fait ressortir une fierté indéfectible, une forme de noblesse dans ce travail laborieux.
Solidarité ouvrière
C’est ce paradoxe que le film parvient à rendre de manière magistrale, en faisant écho à la lutte des syndicats pour sauver l’industrie sidérurgique en Wallonie. La fermeture des usines, la délocalisation et la désindustrialisation ont été des coups durs pour toute une région, mais aussi pour ceux qui ont passé leur vie dans les flammes des hauts fourneaux. Le film documente avec rigueur et émotion les manifestations, les grèves et les actions syndicales menées pour préserver ces emplois et ces savoir-faire. Il donne à voir une solidarité ouvrière exemplaire, un esprit de résistance face à la logique du profit qui ne tenait aucun compte des vies humaines.
Les témoignages des travailleurs sont à la fois durs et pleins d’espoir. Ils parlent de l’importance du collectif, de cette fraternité née dans la douleur et l’injustice. Les ouvriers, malgré les épreuves, ont su se soutenir mutuellement, faire front face aux attaques du capitalisme. Les grèves, loin d’être des gestes de désespoir, apparaissent comme des actes de dignité, des revendications légitimes contre un système économique qui broie les individus. Cette solidarité est le cœur du film, l’élément qui permet à ces hommes et ces femmes de tenir bon face à l’adversité. Ce n’est pas simplement un groupe de travailleurs, mais une véritable communauté de lutte qui se forge au fil des années.
Ce n’est pas simplement un groupe de travailleurs, mais une véritable communauté de lutte qui se forge au fil des années.
Lutte syndicale
La présence des syndicats tout au long du documentaire est essentielle. Ils ont accompagné et mené les luttes ouvrières avec détermination et joué un rôle crucial dans la résistance face à la fermeture des usines. Grâce à des images d’archives et à des séquences filmées par des camarades de la FGTB[1], le film rend hommage à l’engagement de ces métallurgistes et de leurs représentants syndicaux, qui ont risqué bien plus que leur avenir professionnel. Pour eux, c’était une question de survie, de justice sociale, et de respect humain.
En conclusion, L’acier a coulé dans nos veines dépasse de loin la chronique sociale. C’est un film qui, par sa beauté, sa profondeur humaine et son regard critique sur le capitalisme, nous invite à repenser la place du travailleur dans la société contemporaine. Ce documentaire est un hommage vibrant à ces hommes et ces femmes qui ont, par leur travail et leur lutte, forgé une partie de notre histoire, mais aussi un appel à ne jamais oublier que la lutte pour la justice sociale continue.
[1] Voir le film «HF6: le film», un documentaire de Frédéric Tihon, Yannick Bovy et Gérald Jamsin-Leclercq (60′, 2008) sur Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=7v0COpa-k_E .