Les conclusions du dernier rapport d’Oxfam sont sans appel : l’ultra-richesse précipite le monde du travail dans une crise climatique et sociale sans précédent. Alors que les températures franchissent pour la première fois le seuil des 1,5 °C, une poignée de milliardaires continue d’accaparer le budget carbone* mondial, d’affaiblir les régulations environnementales et d’imposer un modèle économique qui fait payer l’addition aux travailleuses et travailleurs.
Une crise climatique qui frappe d’abord les travailleurs
L’étude rappelle que 2024 marque la fin de la décennie la plus chaude jamais enregistrée, symbolisant l’entrée dans une ère où les dérèglements climatiques ne sont plus une menace abstraite mais une réalité quotidienne. Les sécheresses plus intenses, les vagues de chaleur extrêmes, les inondations et les pertes agricoles massives touchent d’abord celles et ceux qui n’ont ni climatisation, ni capital financier, ni possibilité de “délocaliser” leur mode de vie. Les travailleurs agricoles, les aides-soignantes, les ouvriers du bâtiment, les manutentionnaires ou encore les travailleurs du tourisme sont déjà exposés à des risques accrus, souvent sans protection suffisante.
Oxfam calcule que les émissions excessives des plus riches ont provoqué des pertes de récoltes qui auraient pu nourrir chaque année 14,5 millions de personnes, aggravant la précarité alimentaire qui frappe d’abord les ménages populaires. De plus, les seules émissions du 1 % le plus riche pour l’année 2019 entraîneront 1,3 million de décès liés à la chaleur au cours du siècle, touchant en priorité les femmes, les personnes âgées et les travailleurs en extérieur ou en espace mal ventilé. Enfin, les dommages économiques attendus dans les pays que la Banque mondiale qualifie à faible et moyen revenu s’élèvent à 44 000 milliards de dollars d’ici 2050, ce qui réduira encore la marge budgétaire disponible pour financer les droits sociaux, les salaires, les retraites et les services publics.
La crise climatique ne se contente pas de dégrader les conditions de vie : elle érode directement le pouvoir d’achat, détruit des emplois, accroît les inégalités de santé et fragilise les protections collectives. Elle devient un multiplicateur de précarité.
Oligarchie carbone
L’un des apports majeurs du rapport est de démontrer que la crise n’est pas le résultat d’un « comportement collectif », mais l’œuvre d’une minorité fortunée. Depuis 1990, les 1 % les plus riches ont consommé 15 % du budget carbone mondial, alors que la moitié la plus pauvre de l’humanité a vu sa part diminuer. Le déséquilibre est vertigineux : une personne du top 0,1 % émet plus de 800 kg de CO₂ par jour, quand une personne parmi les 50 % les plus pauvres en émet 2 kg. Si tout le monde vivait comme les 1 % les plus riches, le budget carbone serait épuisé en moins de trois mois.
À cela s’ajoute l’effet massif des investissements financiers. Les 308 milliardaires étudiés par Oxfam sont responsables, via leurs portefeuilles, de 586 millions de tonnes de CO₂ en 2024, davantage que 118 pays réunis. Lorsque l’on inclut l’ensemble de la chaîne de valeur, leurs émissions atteignent 1,85 milliard de tonnes, soit 4 % des émissions mondiales. Une majorité de leurs placements se concentre dans des secteurs « à fort impact climatique » tels que le pétrole, le gaz ou l’extraction minière, et une part importante de ces entreprises suit des trajectoires d’émissions compatibles non pas avec un monde à +1,5 °C, mais avec un monde à +4 °C.
Cette influence ne s’arrête pas à leurs investissements : elle envahit la sphère politique. Aux États-Unis, les grandes entreprises — notamment pétrolières et gazières — consacrent en moyenne 277 000 dollars par an, chacune, au lobbying spécifiquement dirigé contre les politiques climatiques. Lors de la COP29, 1 773 lobbyistes fossiles ont obtenu un accès privilégié aux négociations, davantage que presque toutes les délégations nationales. Dans plusieurs pays, dont l’Afrique du Sud, les lobbies industriels ont réussi à affaiblir des projets de régulation climatique ou à freiner les sanctions contre les gros émetteurs. Les mécanismes de règlement des différends investisseur-État permettent quant à eux aux multinationales de poursuivre des États cherchant à adopter des politiques de transition. 84 milliards de dollars d’indemnités ont déjà été versés aux entreprises fossiles dans ce cadre.
À ce pouvoir institutionnel s’ajoute une guerre culturelle : campagnes de désinformation financées par les entreprises fossiles, greenwashing massif, médias détenus par de grands pollueurs alimentant le doute ou minimisant la gravité de la crise. Cette stratégie vise à détourner l’attention des responsabilités structurelles en pointant du doigt la consommation individuelle — jusqu’à l’invention du calculateur d’empreinte carbone par British Petroleum, destiné à moraliser les comportements des citoyens tout en invisibilisant les pratiques des multinationales.
Le résultat est clair : les travailleurs et travailleuses doivent affronter simultanément la crise climatique et la puissance intacte d’acteurs économiques qui font tout pour empêcher sa résolution.
La transition juste comme combat syndical
Face à cet accaparement climatique, Oxfam estime que les 1 % les plus riches doivent réduire leurs émissions de 97 % d’ici 2030, et les 0,1 % de 99 %. Cette réduction n’est pas une option morale, mais une condition matérielle pour rester sous le seuil des 1,5 °C. Elle implique une remise en cause directe des privilèges carbone liés aux fortunes extrêmes : jets privés, superyachts, spéculation immobilière, voyages répétés, et surtout investissements massifs dans les énergies fossiles.
Pour la FGTB, cette orientation rejoint une évidence : il est impossible d’imposer la sobriété aux travailleurs et travailleuses tant que les riches brûlent le budget carbone avec une impunité totale. La transition juste ne peut se réduire ni à un changement individuel de comportement ni à une série de contraintes pesant sur les classes populaires. Elle doit reposer sur une redistribution radicale des moyens financiers et des responsabilités climatiques.
Oxfam avance plusieurs leviers structurants : des impôts progressifs sur les revenus et les fortunes, la taxation des super-profits, l’interdiction ou la taxation lourde des biens de luxe climaticides, la limitation du pouvoir des multinationales fossiles dans le champ politique et médiatique, l’abandon des mécanismes RDIE**, ou encore la réorientation des institutions économiques internationales. Autant de pistes qui rejoignent les revendications de la FGTB en faveur d’une économie placée au service du bien-être collectif.
Ces mesures permettraient de financer massivement la rénovation énergétique, les transports publics, l’emploi dans les filières durables, les services publics, les pensions et la protection sociale – tout ce qui rend une société plus résiliente et plus juste. Elles permettraient aussi de garantir que les pays du Sud, lourdement frappés par la crise climatique, bénéficient enfin des financements nécessaires pour mener leur propre transition.
Le mouvement syndical face au défi climatique
« La COP30 sera notre dernière chance d’éviter une rupture irréversible dans le système climatique. » Luiz Inácio Lula da Silva, Président du Brésil et président de la COP30
Le rapport d’Oxfam établit un constat désormais incontournable : la crise climatique et la crise des inégalités ne sont pas deux dynamiques séparées mais les deux faces d’un même système, fondé sur la concentration extrême de richesses et de pouvoir. Tant que ce système perdurera, les travailleurs continueront de payer le prix d’une catastrophe qu’ils n’ont pas provoquée.
La transition juste ne sera donc pas un simple ajustement technique : ce sera un combat social et démocratique, un affrontement avec l’oligarchie carbone qui capte les ressources, influence les politiques publiques et détruit notre avenir commun. Pour la FGTB, le choix est clair : il faut articuler la défense des droits sociaux et la lutte pour la survie climatique. C’est la même bataille.
* Le budget carbone : c’est un plafond à ne pas dépasser, la quantité maximale de CO₂ que l’humanité peut encore émettre tout en ayant une probabilité raisonnable de rester sous un certain seuil de réchauffement global, par exemple +1,5 °C ou +2 °C.
** Les RDIE désignent les mécanismes de Règlement des Différends entre Investisseurs et États. C’est un dispositif juridique intégré dans de nombreux traités commerciaux ou d’investissement, qui permet à une entreprise (souvent multinationale) de poursuivre un État devant un tribunal arbitral privé si elle estime qu’une loi, une régulation ou une politique publique nuit à ses profits actuels… ou même futurs.
