Chaque année, la FGTB présente son baromètre socio-économique pour les douze mois écoulés. L’analyse 2023 est sortie – plus de cent pages de chiffres, de données et de graphiques – en ce 22 décembre. En bref : l’économie belge va bien. Ce qui n’est pas le cas des travailleurs et travailleuses. Entretien avec Thierry Bodson.
L’économie belge va bien. À de nombreux niveaux. L’affirmation n’est pas farfelue, elle est d’ailleurs confirmée par la Banque nationale de Belgique dans un rapport tombé cette semaine. Thierry Bodson, président de la FGTB, se plaît à le rappeler. « Le décor qu’on plante dans ce baromètre vient en partie d’être corroboré par la Banque nationale. On se rend compte, de manière objectivée, que l’économie belge démontre une résilience qui est meilleure que celle des trois pays voisins (France, Pays-Bas, Allemagne, NDLR) avec lesquels on se compare, mais aussi que dans la plupart des pays européens. Que ce soit au niveau des bénéfices d’entreprise, de la croissance, de la productivité… Mais aussi au niveau de l’inflation, qui est à nouveau sous contrôle au niveau belge. »
Quid du fameux « écart salarial » entre la Belgique et les pays limitrophes ? Il diminue, voire s’approche de zéro. « Juste avant la flambée des prix de l’énergie, le Conseil central de l’Economie évaluait cet écart à 6%,. Or la BNB estime aujourd’hui que l’écart sera négatif – à -0,1% – en 2026. Les autres pays nous rattrapent donc plus vite que prévu. L’élément qui amène cela c’est que les négociations menées par les syndicats dans ces pays fonctionnent bien, et que les augmentations salariales sont plus élevées qu’imaginées. »
Il y a de la marge
« Quand nos services font leurs calculs, ils constatent qu’il y aura probablement une marge de négociation au-dessus de zéro pour le prochain AIP. » Il y a de la marge donc, comme la FGTB le répète à l’envi. « Une fois le contexte posé, on peut conclure deux choses. Premièrement, il y a de la marge pour mettre en œuvre nos revendications. Deuxièmement, il faudrait que la FEB arrête de jouer les pleureuses et d’assombrir le tableau. Elle le fait avec pour seul objectif de s’attaquer à l’indexation automatique, et ça commence à devenir peu crédible. Nos revendications sont légitimes socialement et payables économiquement.»
De quelles revendications parle-t-on ? Suppression du statut cohabitant, financement renforcé de la sécurité sociale, fiscalité juste, amélioration des pensions et des allocations sociales… En bref, une meilleure qualité de vie pour le monde du travail, et moins de cadeaux aux entreprises. « Un exemple. Quand nous disons que le statut cohabitant doit disparaître, on nous répond que cela représenterait un coût d’1,8 milliard d’euros. D’un autre côté, quand le gouvernement a décidé de baisser l’ONSS de 25 à 20%, c’était 9 milliards par an de diminution de recettes pour l’Etat! Et la diminution de l’impôt des sociétés, 6 milliards. Donc pour être clair : l’économie va bien, malgré le fait que par le passé on a pris des décisions qui coûtent chaque année 15 milliards à l’état. Mettre en œuvre nos revendications ne coûterait pas autant. Posons la question : est-ce que l’économie irait moins bien si on ré-augmentait de 1% l’ONSS et l’impôt des société pour mettre en place des mesures sociales ? »
Qui sont les assistés ?
« Les entreprises bénéficient de 9 milliards de subsides, sans condition. Ce n’est pas rien. On est les recordman européens en la matière. Pour comparer : le budget de l’ONEM, c’est 7 milliards. Dont 4 milliards sont consacrés au chômage complet indemnisé. Ces chômeurs coûtent deux fois moins cher que les entreprises, et pourtant c’est un public sur lequel on tape beaucoup. On parle des profiteurs, des assistés… Mais qui sont vraiment ces assistés? Alors, si on se trouvait dans une situation d’équilibre global, qu’on nous disait que les aides aux entreprises contribuent à la résilience qu’on connaît en Belgique… On pourrait l’entendre. Mais ce qui ne va pas, c’est que la FEB rompt le contrat qu’on a en Belgique au niveau de la concertation, qu’elle s’attaque en permanence à la sécurité sociale et aux chômeurs… »
Est-ce que tout va vraiment bien ? Non !
Ce qui va beaucoup moins bien que l’économie, c’est la situation financière et la santé des travailleurs et travailleuses.
Actuellement, près d’un demi-million de Belges sont en invalidité, soit depuis plus d’un an en incapacité de travail. Un nombre croissant d’entre eux le sont pour cause de maladie mentale : burnout et dépression. Une triste évolution : alors qu’en 2016, les problèmes mentaux représentaient un peu plus d’un quart des malades, en 2021 (derniers chiffres disponibles), ils en représentaient près d’un tiers. Tout le monde n’est pas logé à la même enseigne : les travailleurs et travailleuses appartenant à la tranche des 20% de revenus les plus faibles sont trois fois plus susceptibles d’être en incapacité de travailler que ceux appartenant à la tranche des 20% de revenus les plus élevés.
« Entre 500 000 et 600 000 personnes sont en invalidité », confirme Thierry Bodson. « Quand on analyse ce chiffre d’un peu plus près, on constate qu’une majorité l’est pour des raisons liées au travail. Le burnout concerne 117 000 personnes, par exemple. Et comme par hasard, ce sont les 20% les plus pauvres qui sont les plus touchés par l’invalidité. Parce que, même sans faire de généralités, qui dit métier mal payé dit souvent métier dur et pénible. À cela s’ajoute la flexibilité, et la nécessité, pour beaucoup, de cumuler plusieurs emplois pour joindre les deux bouts.»
Inégalités
Car si le taux d’emploi est élevé en ce moment en Belgique, le nombre de travailleurs et travailleuses pauvres l’est également. En 2023, le seuil de pauvreté pour un isolé s’élevait à 1 570 euros bruts par mois. Pour un ménage avec deux enfants, il était de 3 296 euros bruts par mois. 13,2% des Belges courent un risque de pauvreté monétaire. Un chiffre en diminution, mais qui masque des inégalités. En effet, de 13,2% on passe à 26,2% chez les personnes qui disposent d’un niveau d’éducation faible. Dans cette catégorie, le risque de pauvreté augmente (il était de 25,3% en 2019). Le risque de pauvreté frappe également plus durement les familles monoparentales et les personnes qui ne sont pas propriétaires de leur logement. Une situation qui risque de s’aggraver dans le futur.
Le baromètre socio-économique de la FGTB couvre nombre de réalités sociales, et aborde des questions essentielles comme le défi climatique, la numérisation de l’économie, l’avènement de l’intelligence artificielle… Des défis qu’il faut transformer en opportunités. Ces bouleversements, le monde du travail devra les affronter. Les réponses et solutions devront être collectives. Quelques clés pour le monde politique : plus de justice sociale et fiscale, une lutte accrue contre la pauvreté et les discriminations, une société plus inclusive.
Retrouvez en janvier notre dossier sur le baromètre socio-économique de la FGTB.