Un billet du SETCa
Début mars, Delhaize annonçait sa décision de franchiser ses 128 magasins intégrés. Cela signifie leur reprise par un exploitant indépendant. Les 9.000 travailleurs concernés seront transférés dans une commission paritaire pratiquant de moins bonnes conditions de travail et de rémunération et où la représentation syndicale est faible, voire inexistante. Une décision inacceptable, tant pour les travailleurs de Delhaize, que dans l’intérêt du secteur. Aujourd’hui, les provocations de la direction se multiplient, et le conflit se durcit.
Plus de profit, au détriment des travailleurs
Contexte. Delhaize n’est pas une entreprise en difficulté, qui enregistre des pertes. Bien au contraire. A la suite des résultats robustes au cours de l’année écoulée, le salaire du patron de Ahold-Delhaize vient d’ailleurs d’être augmenté à 6,519 millions d’euros (au lieu de 5,7 millions d’euros l’année précédente).
Alors, d’où vient la volonté de franchiser ? Delhaize invoque une perte de croissance d’1,1% de ses magasins intégrés, tandis que les magasins indépendants affichent une croissance positive de 3,5%. C’est comparer des pommes et des poires. Pour rappel, 25% des franchisés sont en difficulté et les licenciements qui en découlent ne sont pas rares. Les exploitants indépendants eux-mêmes l’ont déclaré à l’annonce de la nouvelle : il est très difficile de réussir sur ce marché très concurrentiel. Au final, la direction de Delhaize veut les avantages, mais pas les inconvénients. Aux exploitants indépendants et aux travailleurs le dur labeur, à elle les bénéfices.
Nouvelle provocation des patrons de Delhaize
« Après avoir organisé des fouilles au conseil d’entreprise, après avoir fait passer le message que certains travailleurs ne seraient jamais réengagés « avec la tête qu’ils ont », après avoir établi des listes de ceux qui seraient repris ou pas, en fonction du fait qu’il soient grévistes ou pas, après avoir supprimé l’accès au sas des magasins et aux toilettes des magasins pour les grévistes, après avoir établi des avenants au contrat pour changer les travailleurs de magasin, aujourd’hui, Delhaize brise les piquets de grève. »
Ces mots, de Myriam Delmée, Présidente du SETCa, font suite à la visite d’un huissier au magasin de Hornu. Delhaize fait en effet appel à la justice via des procédures de requête unilatérale en extrême urgence, pour casser les piquets de grève. Quatre travailleurs ont été mis sous pression pour reprendre le travail. Les autres sont toujours en grève. « Comme ce n’est pas suffisant pour faire fonctionner un magasin, deux étudiants ont été engagés. Des étudiants sans aucune formation. La législation belge interdit de remplacer les travailleurs grévistes par des intérimaires. Une fois de plus, Delhaize multiplie les provocations et surfe sur une fraude à la loi, en n’utilisant pas d’intérimaires pour remplacer des grévistes, mais bien des étudiants. »
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Une gifle pour les travailleurs
Pour les travailleurs, c’est une gifle en plein visage : ce plan est en effet présenté comme un fait accompli. Il existe pourtant d’autres manière de doper les ventes et d’assurer la croissance que de mettre à la porte les fidèles travailleurs. Une politique commerciale correcte serait certainement une solution tout aussi valable. Car il existe des possibilités de renouer avec la croissance tout en maintenant l’emploi.
Conseil d’entreprise : la montagne a accouché d’une souris
Conflit. Depuis cette annonce, les travailleurs de Delhaize ont débrayé aux quatre coins du pays et mènent des actions de grève. Ils sont plus solidaires que jamais et bien déterminés à se battre pour défendre leur emploi et leurs conditions de travail. Ils exigent le retrait du plan.
Les conseils d’entreprise extraordinaires qui se sont tenus depuis se sont toujours vite terminés. Le CEO, Xavier Piesvaux, ne s’est même pas présenté. Voici ce que déclarait une travailleuse : « J’ai toujours été fière d’avoir commencé chez Delhaize à l’âge de 18 ans et de n’avoir jamais travaillé ailleurs. Pendant toutes ces années, j’ai tout donné. Aujourd’hui, je suis proche de la pension et on me laisse tomber. J’en suis malade… ».
Certains participants à l’action disaient aussi avoir déjà fait des efforts financiers il y a des années lors de la restructuration. Les travailleurs ont toujours agi dans l’intérêt de l’entreprise. Ils ne sont pas des marchandises. Ils méritent un minimum de respect et de considération.
CCT 32 bis ?
Certains exploitants indépendants sont en colère contre les syndicats qui les qualifieraient de « mauvais employeurs ». Il n’est bien sûr pas vrai de dire que les exploitants indépendants sont tous de mauvais patrons. Mais un fait est bien réel : cette commission paritaire offre de moins bonnes conditions de travail et de salaire, et il n’y a que rarement, voire jamais, de représentation syndicale dans les petits magasins. Grâce à la CCT 32 bis, un repreneur serait obligé de respecter les conditions de travail et de rémunération actuelles. Rien ne l’empêche toutefois de mettre des gens plus tard à la porte et d’embaucher de nouveaux travailleurs à des conditions moins favorables.
Deux militants d’un magasin intégré travaillaient autrefois dans un magasin franchisé. Ils résument la situation comme suit : « Quand je suis arrivé ici (dans un magasin intégré, NDLR), je n’en croyais pas mes yeux ; je gagnais plus pour moins d’heures de travail. Je recevais des formations, un meilleur équipement de protection… Je n’ai jamais été mécontent de mon ancien employeur, mais la différence était énorme. Comme le magasin indépendant était également ouvert les dimanches et les jours fériés et que nous étions donc soumis à un régime de 6 jours, je devais souvent effectuer des pauses consécutives. Quand j’étais jeune, cela allait. On le fait, c’est tout. Mais à la fin, je ne savais plus où j’en étais. J’étais à bout… Et puis un seul jour pour récupérer. Ce n’est vraiment pas suffisant. Je préférerais ne plus travailler pour un exploitant indépendant. On est tout simplement mieux dans un magasin intégré. »
La lutte chez Delhaize se poursuit
Les travailleurs restent déterminés et poursuivent la lutte. Ils disent résolument « non » à la franchise. Si la direction veut vraiment se débarrasser d’eux, elle doit être honnête et respecter la loi Renault pour procéder à un licenciement collectif. Soyons clairs : ce n’est pas ce que nous voulons non plus, mais ce serait malgré tout plus correct que de brader les travailleurs.
Enfin, nous devons réfléchir au type de société que nous voulons. Nous appelons dès lors tout le monde à être solidaire avec les travailleurs de Delhaize. Ne profitez pas des livraisons à domicile et passez éventuellement aux piquets de grève pour les encourager. Si nous permettons cela, il n’y aura plus de limites. Ce n’est qu’ensemble qu’on est plus forts !
Le SETCa dépose plainte contre la direction
Quatre semaines après l’annonce de la volonté de Delhaize de franchiser ses 128 magasins intégrés et de supprimer 280 emplois au siège, le SETCa dépose une plainte pénale auprès de l’Auditorat du travail de Bruxelles pour non-respect de la loi Renault et de l’obligation de consultation et d’information. La direction de Delhaize déclare invariablement dans la presse qu’elle est prête à engager le dialogue et souhaite être transparente, mais ses actions sont en contradiction flagrante avec ces propos et la concertation sociale n’est pas respectée. Il s’agit d’une plainte contre la personne morale-l’employeur (Delhaize) mais aussi contre trois membres de la direction.