Le secteur du transport subit, depuis de longues années, une flexibilité poussée à l’extrême. Et les nouvelles mesures du gouvernement Arizona ne risquent pas d’améliorer la situation. Bien au contraire… Pour mieux saisir la réalité des chauffeurs poids lourds, nous avons suivi durant quelques heures Hans Van de Velde, délégué UBT-FGTB et chauffeur anversois.
Il est exactement 4 heures du matin quand Hans nous accueille, les yeux pétillants, à côté de son camion. Le silence règne. Même les oiseaux dorment encore à cette heure de la nuit. Nous sommes sur un parking à Sint-Katelijne-Waver, dans la province d’Anvers. Nous nous installons confortablement dans la cabine de son camion, son poste de travail, pendant parfois 15 heures par jour.


Hans travaille depuis 34 ans pour l’entreprise de recyclage Renewi. « Dans un an et demi, j’atteindrai les 45 ans de carrière. Je pourrai partir à la pension. Fin 2026, je raccroche le volant », confie-t-il, entre soulagement et nostalgie. Soulagement parce qu’« il faut profiter de la vie tant qu’on le peut », nostalgie parce qu’il y a peu de chauffeurs routiers en Belgique qui soient aussi engagés que Hans.
Une vocation
« J’ai toujours voulu être chauffeur poids lourds. J’adore mon métier. Dès que j’ai eu l’âge, j’ai passé
le permis camion. Aujourd’hui, j’ai tous les permis, de A à D », raconte Hans fièrement.
Mais Hans, c’est aussi 30 ans de militantisme syndical à l’UBT, la centrale du transport de la FGTB. Depuis 12 ans, il cumule trois mandats syndicaux : délégation syndicale, conseil d’entreprise et CPPT (Comité pour la Prévention et la Protection au Travail). Un engagement qui n’est pas sans coût : « J’y consacre environ sept jours par mois. Et souvent, je travaille aussi le soir. Si je bossais ces jours-là, je gagnerais environ 300 euros nets de plus par mois », explique-t-il.

Pendant qu’il parle, nous arrivons au premier arrêt. Hans commence les manœuvres : il accroche un conteneur vide à son camion. La précision est impressionnante. On se dirige ensuite vers le site de livraison. À cette heure, la route est déserte, pas de voitures à l’horizon. C’est précisément pour cela que Hans commence si tôt. Départ à 4h, fin de journée entre 17h et 18h, avec deux pauses. Un rythme classique dans le transport, mais qui demande souplesse et adaptabilité.
Equilibre vie privée/vie professionnelle compliqué
« Ce n’est pas un métier facile à concilier avec une vie de famille. Aujourd’hui, j’ai 60 ans, mes enfants sont grands. Mais il y a eu des périodes très compliquées », confie Hans. Son ex-femme était infirmière. Deux métiers à horaires décalés : « On devait souvent faire appel aux grands-parents pour garder les enfants. » Une chance que tout le monde n’a pas.
Les horaires peu attrayants expliquent en partie le nombre d’offres disponibles dans le secteur. Les jeunes sont moins intéressés par ce métier. « Les nouvelles générations cherchent un bon équilibre entre vie privée et professionnelle. Travailler huit heures, avec des horaires fixes, puis rentrer chez eux. Je les comprends. Moi, je suis de la vieille école, j’aime les longues journées. »
Mais ce n’est pas le seul obstacle. L’organisation du travail laisse à désirer. Les chauffeurs découvrent souvent la veille leur destination du lendemain. « Ce n’est pas top, mais on finit par s’y habituer… » glisse-t-il en haussant les épaules. Ce qui l’épuise le plus, c’est la charge de travail. « Si je suivais les tournées telles qu’elles sont prévues sur papier, je devrais travailler deux heures de plus par jour. Je réorganise mes tournées pour être plus efficace. Il faut de l’expérience. Moi, je m’en sors. »


Jusqu’à l’épuisement
Hans reconnaît que les conditions de travail chez Renewi sont bonnes, mais en tant que représentant syndical il sait que ce n’est pas le cas partout. « Chez nous, les temps de conduite et de repos sont respectés. Mais ailleurs, on pousse les chauffeurs à bout. Tant que t’as pas atteint 15 heures, t’as pas fini !»
À cela s’ajoutent les changements fréquents de véhicules et les efforts physiques non négligeables. Tous les chauffeurs n’effectuent pas le même travail. Certains doivent conduire d’un point A à un point B, tandis que d’autres doivent constamment changer de chargement. « Conduire, charger et décharger jusqu’à 67 ans ? C’est impossible ! »


Le recul de l’âge de départ à la pension a été décidé par le gouvernement Michel en 2014. Mais les mesures du gouvernement Arizona ne le convainquent pas davantage : « Ce n’est pas mon gouvernement. Nos droits sociaux sont en jeu. Nos ancêtres se retournent dans leur tombe : ils ont versé leur sang pour ces droits. Et aujourd’hui, on exclut du chômage des gens usés, qui ne peuvent plus suivre. Ce n’est pas le chômage qu’il faut baisser, mais les salaires qu’il faut augmenter ! Moi, je gagne correctement ma vie, mais c’est loin d’être excessif. »
Hans ajoute que la dérégulation du travail opérée par le gouvernement frappe aussi directement son secteur : annualisation du temps, travail de nuit moins bien rémunéré. « Nous devons être de plus en plus flexibles, mais nous n’obtiendrons rien en retour », regrette Hans.
Le secrétaire régional de l’UBT d’Anvers, Wim De Jonghe, représente les travailleurs et travailleuses du transport. Il pointe du doigt les répercussions des mesures de l’Arizona en matière de flexibilité.
Quels types d’horaires sont courants dans les secteurs que vous représentez ?
« Dans le transport de marchandises et de passagers, les semaines de 38 heures à temps plein sont courantes. C’est au niveau des horaires que la flexibilité est plus importante. Les chauffeurs routiers conduisent entre 12 et 15 heures par jour. Il arrive aussi régulièrement que les équipes du soir alternent avec celles du matin. Le repos de nuit et les périodes de repos sont sacrés et doivent être respectés. En tant que syndicat, nous y veillons. »
S’agit-il d’un métier en pénurie ?
« Les salaires dans le secteur ne sont pas parmi les plus élevés. Ce n’est donc pas très attrayant pour les jeunes. Il y a beaucoup de vieillissement dans le transport de marchandises à l’heure actuelle, des milliers de postes vacants. La réintroduction des périodes d’essai par le gouvernement ne devrait même pas être envisagée. Il faudrait proposer directement un CDI aux personnes qui veulent y travailler ! »
Quelles sont les mesures envisagées par l’Arizona qui compliqueraient l’attrait de la profession ?
« Le début de la prime de nuit à minuit au lieu de 20h en est déjà une. Il y a beaucoup de travail de nuit dans nos secteurs. Ça rendra la profession moins attrayante.
Ensuite, l’annualisation du temps de travail. Cela veut dire que le nombre d’heures à travailler est calculé sur une base annuelle et votre employeur peut vous obliger à faire des heures supplémentaires non rémunérées pendant les périodes chargées. Vous pouvez ensuite les récupérer pendant les périodes plus calmes. Tout d’abord, les gens devraient pouvoir décider eux-mêmes quand récupérer leurs heures et, ensuite, ces heures devraient être correctement rémunérées.
Enfin, nous pensons que l’extension des flexi-jobs à tous les secteurs est une mauvaise chose. Si un chauffeur commence à faire des heures supplémentaires le week-end, nous devons rester vigilants à ce que les temps de conduite et de repos soient respectés. »
« Il faut bloquer le pays »
C’est pour toutes ces raisons qu’Hans était présent à la manifestation du 25 juin à Bruxelles. Mais pour lui, ce n’est pas suffisant : « Il faudrait bloquer le pays pendant une semaine, sur des points stratégiques. Là, les gens se rendraient enfin compte de l’importance du transport. Ceux qui trouvent les grèves exagérées ne réalisent pas encore ce qui les attend. Mais ils seront touchés à leur tour, ils descendront aussi dans la rue. »

« Ceux qui trouvent les grèves exagérées ne réalisent pas encore ce qui les attend. Mais ils seront touchés à leur tour, ils descendront aussi dans la rue »
— Hans Van de Velde, délégué UBT-FGTB et chauffeur poids lourd
Sur ces mots, nos chemins doivent se séparer. Avant de partir, Hans accepte de poser pour une dernière photo. Autour de son cou, un détail attire notre attention : une chaîne en or, au bout de laquelle pend un petit camion. Tout est dit.
Il est 7h30. Le soleil a remplacé la lune, les oiseaux commencent à chanter. Hans s’éloigne, son conteneur plein, au volant de son camion… avec l’engagement intact.
À la prochaine virée, camarade !