Hausses des prix, manifestations réprimées, syndicalistes arrêtés, droit de grève bafoué, liberté de la presse réduite… Aujourd’hui, le climat social et politique béninois est tout sauf favorable aux travailleurs et travailleuses, et à leurs combats. Nous en parlons avec Anselme Amoussou, Secrétaire général de la Confédération des syndicats autonomes du Bénin (CSA Bénin) et depuis peu également Secrétaire Général Adjoint de la CSI-Afrique (Confédération Syndicale Internationale).
Paysage syndical et contexte Au Bénin, le taux de syndicalisation est particulièrement faible : il ne s’élève qu’à 3,4%. L’une des raisons qui explique ce chiffre : la prépondérance du secteur informel. En effet, celui-ci occupe 80 à 90% des travailleurs actifs. « C’est un secteur fait de précarité, de pauvreté, de difficultés, qui est très difficile à organiser », regrette Anselme. Le mouvement syndical est par ailleurs très fragmenté : rien que pour le secteur de l’enseignement, le Bénin compte environ 400 syndicats. Au niveau national, il y a 8 confédérations, dont 3 qui sont réellement représentatives car elles sortent gagnantes des élections sociales fraichement organisées : la CGTB, la COSI-Bénin et la CSA Bénin. Taux de pauvreté à 40% Ces dernières années, les travailleurs et travailleuses sont confrontés à plusieurs difficultés : les politiques ultra-libérales du Président Talon – en fonction depuis 2016 -, la hausse des prix de produits de première nécessité comme le blé dû à la guerre en Ukraine, la crise sanitaire à laquelle le pays n’était pas préparé, la fermeture des frontières avec les pays voisins qui a également eu une répercussion sur les prix. A titre d’exemple, le prix du maïs est passé du simple au double. « Dans ce contexte, la cherté de la vie est ressentie encore plus fortement », ajoute le Secrétaire général. « Aujourd’hui, le taux de pauvreté au Bénin s’élève à 40%. » |
Criminalisation de l’action syndicale
Fin avril, trois confédérations syndicales, dont la CSA Bénin, ont organisé une manifestation contre la vie chère, à Cotonou. Résultat: 27 représentants syndicaux, dont Anselme, ont été arrêtés par les forces de l’ordre. « Une violence aveugle contre les travailleurs » se souvient Anselme. « Quand nous étions dans la fourgonnette, un policier nous a jeté un gaz lacrymogène et a refermé les portes. On est dans un environnement global d’intimidation des actions sociales et de contestation. Le problème est qu’on crée un espèce de précédent qui peut décourager les travailleurs à participer à une action syndicale à l’avenir. C’est un peu le but recherché et un des défis principaux du mouvement syndical. Faire en sorte de maintenir cette capacité à se révolter et réclamer ses droits ».
Mais comment expliquer cette violence ? « Le Président est un ancien chef d’entreprise qui considère que la gouvernance qui est la mieux adaptée à un pays comme le Bénin est une gouvernance d’entreprise, où le syndicat n’a pas sa place » explique Anselme. Et ajoute : « Il considère l’action syndicale comme une perte de temps, une nuisance qu’il faut traiter comme telle ».
Arrêts de travail interdits
Le régime tente également de limiter l’action des représentants des travailleurs à travers des lois. Il a revu, à titre d’exemple, le droit de grève. Aujourd’hui, les arrêts de travail sont totalement interdits dans plusieurs secteurs, dit « vitaux », même si certains ne le sont pas. « Dans ces secteurs, les travailleurs et travailleuses peuvent se retrouver en prison parce qu’ils ont osé participer à une action ou déclenché une grève ». Une autre disposition prise par le gouvernement afin de limiter les droits des travailleurs : la « loi sur l’embauche » qui permet à un employeur de proposer des CDD de 10, 15, 20 ans… ou encore, qui prévoit des sanctions minimes pour les employeurs coupables de violations du droit du travail.
Revendications syndicales contre la « cherté de la vie »
Les organisations syndicales demandent tout d’abord au gouvernement de réagir. « Nous avons l’impression qu’il a baissé les bras. Il n’y a plus aucune mesure pour répondre à l’urgence de la situation », s’inquiète Anselme. En effet, selon la CSA Bénin, il faut des mesures concrètes qui aient un véritable impact sur la hausse des prix : augmenter les salaires, appliquer le salaire minimum dans le secteur privé, réguler les prix des produits de première nécessité, la mise en œuvre de l’assurance maladie universelle… Tout cela, à travers « un dialogue social inclusif, afin de permettre à toutes les parties de construire ensemble des solutions. Parce qu’il n’y a plus de dialogue social en ce moment » regrette Anselme.
« Il n’y a plus de dialogue social. Nous souhaitons sa mise en place, afin de permettre à toutes les parties de construire ensemble des solutions. »
— Anselme Amoussou, syndicaliste béninois
Liberté de la presse menacée
Fin avril, Anselme était invité à participer à un débat sur la télévision publique avec le préfet de Cotonou, qui avait réprimé la marche du 27 avril. L’émission a été annulée. « C’est une forme de censure », regrette le représentant syndical. « Le journaliste était dans tous ces états. Il a reçu le matin-même une injonction du directeur de la télévision – nommée par le Chef de l’Etat – comme quoi le débat ne pouvait pas avoir lieu. Le secrétaire de la CSA Bénin ne devait pas avoir l’occasion de s’exprimer . »
Au Bénin, la fragilité financière des organes de presse est une réalité. Résultat : ils sont, pour la plus part, entré dans un contrat avec le gouvernement. « Ce contrat stipule qu’ils doivent accompagner le gouvernement dans son action », explique Anselme. Seuls les web TV sont dissociées au gouvernement, mais il faut payer pour bénéficier d’une couverture médiatique en leur sein.
Les défis syndicaux africains
En novembre 2023, Anselme a été élu Secrétaire Général Adjoint de la CSI-Afrique. Un mandat qu’il accueille avec beaucoup de fierté et un sentiment de responsabilité. Selon lui, les défis à relever au niveau syndical sont nombreux : la prolifération des syndicats qui entraîne la fragmentation du mouvement, le problème du leadership vieillissant et essentiellement masculin et l’unité de l’action, qui selon lui, est le plus important. « Nous devons nous mettre autour de la table avec l’autre organisation régionale syndicale, l’USA, pour relever les défis ensemble ». Il en va de même pour l’Union Africaine, l’équivalent de l’UE en Afrique.
« Le travail décent, les ODD (Objectifs de Développement Durable adoptés par les Nations-Unies), la transition juste, l’environnement, la migration,… sont également des thèmes sur lesquels le syndicalisme africain doit construire son expertise et faire en sorte de pouvoir influencer les grandes orientations au niveau régional et international », ajoute-t-il.
La solidarité syndicale internationale
C’est grâce à elle que les syndicats ont pu obtenir la libérations de leurs représentants lors des événements du mois d’avril. « Elle nous a permis de mettre la pression sur le gouvernement. Et c’est grâce à elle aussi que nous avons eu l’autorisation d’organiser la marche du 11 mai. » explique Anselme. « Mais au-delà de ça, il faut reconnaître que le syndicalisme au niveau belge et européen a une histoire plus longue que la nôtre. La coopération syndicale internationale permet d’avoir des échanges d’expériences, de s’inspirer des bonnes pratiques. »
En ce qui concerne le partenariat entre la FGTB et la CSA Bénin en particulier, Anselme cite un exemple qui, selon lui, illustre bien ce que la solidarité peut apporter en termes d’amélioration de la pratique syndicale dans son pays. « Nous avons par exemple un projet avec l’IFSI (Institut de Formation Syndicale Internationale de la FGTB) dans le secteur des taxis-motos. Ce projet a permis de syndicaliser davantage de conducteurs, de les outiller syndicalement, de les former sur le code de la route, la sécurité, etc. » Aujourd’hui, il y a six organisations syndicales de taxis-motos, dont 2 affiliées à la CSA Bénin. Et ce, malgré que le secteur gravite encore dans l’économie informelle. « Tous ces éléments nous apportent du contenu pour rendre le syndicalisme attractif aux yeux des travailleurs et revenir dans le débat avec un réel rapport de force ».
L’avenir du Bénin
Les prochaines élections auront lieu en 2026. Normalement, le Président Talon ne peut plus se représenter. Mais des élections dans un climat de tension sont à craindre. « Parce que le code électoral a encore été revue récemment. Ce changement complique une éventuelle victoire de l’opposition. », explique Anselme. « Le scénario positif serait que le Président se retire, comme cela est prévu. Mais nous n’avons pas les éléments qui nous permettraient d’y croire ». Cependant, des voix commencent timidement à s’élever et dénoncer certains de ces choix. « On sent la fin du règne. » conclut Anselme. Et espère que cela permette aux autres représentants politiques de prendre conscience des enjeux et d’y travailler pour apaiser le climat social actuel.
Copyright photo principale : Johanna De Tessières.