Les femmes, actrices principales des luttes sociales d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Le magazine Syndicats leur rend hommage dans cette rubrique. Tous les mois nous présentons une militante de la FGTB : son histoire, ses luttes, ses craintes, ses aspirations. Aujourd’hui, c’est au tour d’Ilse Nicaes, déléguée de la FGTB Horval, 25 ans d’expérience syndicale.
Ilse Nicaes a 52 ans et travaille chez Hot Cuisine à Gand depuis bientôt 30 ans. « Mon premier jour de travail remonte au 9 juin 1992. Culinor appartenait alors encore au groupe Carestel, connu pour ses restaurants routiers. C’était une autre époque. Nous travaillions en deux équipes et faisions de longues journées. Parfois, nous commencions à 13h00 et n’avions toujours pas terminé à 1h00 du matin. Le lendemain, nous pouvions encore être appelés. Les conditions de travail de l’époque ne rendaient pas les gens heureux ».
Premiers pas en tant que déléguée
« À un moment donné, nous avons franchi la barre des 50 employés et il a fallu désigner un délégué. Je me suis immédiatement portée candidate. À l’époque, il n’était pas encore question de conseil d’entreprise ou de comité pour la prévention et la protection au travail. J’ai donc véritablement dû partir de zéro. La première CCT a été conclue en octobre 1995 ».
« En mai 2000, j’ai participé pour la première fois aux élections sociales. L’entreprise comptait alors plus de 100 travailleurs et je me suis retrouvée au conseil d’entreprise et au CPPT. Depuis lors, j’ai toujours été élue pour les deux organes de concertation. Entre-temps, nous avons également changé plusieurs fois de propriétaire. Depuis 2012, nous appartenons au groupe Culinor, avec un site à Gand, où je travaille et trois autres sites à Destelbergen, Herselt et Olen ».
Concessions et résignation
Ces multiples reprises ont constitué des moments difficiles pour le personnel de Hot Cuisine. « Lors de la dernière reprise, nous avons dû faire d’importantes concessions . On nous a retiré notre pause rémunérée et nos 12 jours de réduction du temps de travail. Comment expliquer cela aux travailleurs sur le terrain? C’était ça, la politique du nouvel employeur. Nous avons dû nous résigner, et accepter. »
Un travail syndical rendu difficile
« Être déléguée demande beaucoup de temps et d’efforts. Pour moi, c’est parfois particulièrement difficile. » Car Ilse a aujourd’hui 52 ans, et souffre sclérose en plaques. « Cela signifie que je peux arrêter à 58 ans. Le travail ici est éprouvant, mais j’espère pouvoir tenir le coup. Mes collègues sont une grande source de motivation. Aider les gens, c’est pour ça qu’on le fait au final non ? ».
La direction, par ailleurs, ne facilite pas toujours les choses. « Le 9 novembre, nous nous sommes mis en grève, avec le reste de la FGTB. L’usine était complètement à l’arrêt. Nous avions au préalable fait savoir à la direction que la production serait arrêtée. Nous avions consulté les collègues pour savoir ce qu’ils en pensaient. Sur le site de Destelbergen – une unité technique d’exploitation avec le site de Gand -, cela a posé quelques problèmes. Car lorsque nous voulions nous rendre sur le terrain pour informer et sonder le personnel, cela nous était systématiquement refusé. Comment voulez-vous faire votre travail syndical si la direction vous refuse l’accès au lieu de travail ? Finalement, tout s’est bien terminé, mais nous restons très vigilants à l’approche des prochaines élections sociales ».
« Comme si je n’y connaissais rien »
« Femme et syndicaliste », tout un programme. Ilse confirme ce que d’autres nous ont dit auparavant : il faut parfois en faire un peu plus que les hommes pour trouver sa place. « En tant que femme, il faut s’imposer davantage encore dans le cadre de la concertation sociale. Lors d’une récente réunion IEF (informations économiques et financières, NDLR), nous avions très vite remarqué que plusieurs choses n’allaient pas dans les chiffres. Nous avons procédé à une analyse approfondie et attendu la prochaine réunion, qui devait se faire en présence d’un réviseur d’entreprise. Avant même que celui-ci n’ait pu prendre la parole, j’ai levé la main pour intervenir. J’ai dit : « Je ne pense pas que nous puissions commencer parce que les chiffres ne sont pas corrects . »
La réaction ne se fait pas attendre. « Le patron s’est montré plutôt condescendant, comme si je n’y connaissais rien et que mes propos n’avaient aucun sens. Mais je ne suis pas stupide, je peux mettre des chiffres côte à côte. Le réviseur d’entreprise a finalement confirmé que j’avais raison. Je suis certaine que les femmes vivent plus souvent ce genre d’expérience. La direction – qui compte une seule femme parmi plusieurs hommes – joue parfois un peu la carte de l’intimidation. Le ton monte parfois. Je travaille ici depuis 30 ans maintenant. Entre-temps, j’ai appris à gérer cela. C’est le genre de choses qu’on apprend. Je laisse les gens s’emporter et quand ils se sont un peu calmés, je prends la parole pour dire ce que j’ai à dire. ».
Quel est le dossier le plus important chez Hot Cuisine pour les mois à venir ?
« La pression du travail est notre plus grande priorité syndicale. Ici, le travail est assez lourd physiquement. A la chaîne, à un rythme élevé. Ce qui veut dire que l’absentéisme est relativement élevé. Nous déplorons actuellement une dizaine de malades de longue durée ».
« Pour la période à venir, nous devrons probablement de nouveau négocier des primes. Il faudra se battre, et ce ne sera pas facile. La dernière fois, nous avons négocié une prime de 500 €. Nous la voulons cette fois aussi, car il n’y a pas grand-chose à attendre de mieux au niveau des négociations salariales. Les médias parlent beaucoup de ces primes et donc les gens les réclament. Ils ne réalisent pas bien que tout cela n’est pas encore réglé. Quoi qu’il en soit, nous les revendiquerons, mais nous ne voulons surtout pas faire des promesses vaines ».
Et l’avenir ?
« Je suis inquiète pour la relève . Pour les prochaines élections sociales de 2024, nous sommes bien sûr de nouveau à la recherche de candidats. Les gens voient bien le temps et les efforts que demandent mes mandats. Et c’est plutôt un frein… Nous le constatons à chaque élection sociale. Cela devient difficile de remplir les listes. Tout ce que j’espère, c’est que tout notre travail de ces dernières années ne parte pas en fumée. Remplir des listes avec des personnes qui ne feront pas de leur mieux, ça n’a évidemment aucun sens. Si vous ne faites rien, vous n’obtiendrez rien. Mais si vous ne lésinez pas sur vos efforts, alors vous verrez que beaucoup de choses sont possibles ».